Le 11 décembre 1977, Amnistie internationale et les participants à la Conférence internationale sur l'abolition de la peine de mort ont adopté la Déclaration de Stockholm – le premier manifeste international abolitionniste − qui appelle tous les gouvernements à abolir immédiatement et totalement la peine de mort. À l'époque, seuls 16 pays avaient aboli la peine capitale. Quarante ans plus tard, ils sont 105 à l'avoir fait. N'attendons pas encore 40 ans pour que ce châtiment disparaisse complètement de la surface du globe. Asie et Pacifique En 1977, la peine de mort était encore en vigueur dans tous les pays de la région Asie-Pacifique, même si l'Australie, le Bhoutan, le Brunéi Darussalam, Fidji, les Maldives, la Nouvelle-Zélande et la Papouasie-Nouvelle-Guinée avaient depuis longtemps cessé de procéder à des exécutions, rejoints peu après par le Sri Lanka, en 1978. La situation dans cette région a aujourd'hui bien changé. Le Pacifique est devenu un territoire quasiment sans peine de mort, les derniers États à l'avoir abolie étant Nauru et Fidji. Ce châtiment existe encore dans la législation de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et de Tonga, mais seule la première prononce encore des condamnations à mort. En dehors du Pacifique, huit États ont complètement aboli la peine capitale, et huit autres sont abolitionnistes en pratique. En 2019, la Thaïlande vivra sa dixième année sans exécutions. Néanmoins, la région Asie-Pacifique rassemble encore près de la moitié des pays dans lesquels Amnistie internationale a signalé des exécutions en 2016 – dont la Chine, qui condamnerait à mort et exécuterait plusieurs milliers de personnes par an. Mais même dans ces pays, le recours à la peine capitale a fortement diminué ces dernières décennies. Des informations semi-officielles, révélées ponctuellement par les médias d'État chinois, montrent par exemple une baisse importante du nombre annuel d'exécutions ces dix dernières années, puisqu'elles seraient passées de plus de 10 000 à un « nombre à quatre chiffres ». À Singapour, le nombre d’exécutions a chuté d'un niveau record de 70 par an au milieu des années 1990 à seulement une poignée. S'il est difficile de déterminer les raisons qui expliquent cette baisse des exécutions dans la région, la pression internationale et l'évolution progressive du débat public sur la peine de mort – non plus considérée comme un problème de justice pénale mais plutôt de droits humains – sont probablement des facteurs essentiels dans ce changement. Ces dernières années ont aussi été marquées par des retours en arrière, avec des gouvernements qui ont repris les exécutions au prétexte de lutter contre la criminalité et le terrorisme, bien que rien ne vienne prouver l'efficacité d'une telle mesure. En 2012, l'Inde a repris les exécutions pour les actes liés au terrorisme, après une interruption de huit ans ; un an plus tard, l'Indonésie a fait de même pour les infractions à la législation sur les stupéfiants, après un arrêt de quatre ans. Le Pakistan a levé le moratoire sur les exécutions de civils en vigueur depuis six ans, à la suite d'une attaque lancée contre une école en décembre 2014. Dans les pays où elle est encore appliquée, la peine de mort s'accompagne souvent d'inquiétudes quant à l'équité des procès et à l'utilisation d'« aveux » forcés pour prononcer les condamnations, ainsi que d'autres violations des garanties internationales. Les autorités de plusieurs pays de la région ne rendent pas publiques les données sur leur utilisation de ce châtiment, empêchant un débat éclairé sur son maintien, et cachent activement les informations sur les exécutions, avant et après leur mise en œuvre. Cependant, à l'heure où de plus en plus de condamnations infondées sont annulées par les tribunaux et où de plus de plus de gens échappent à la peine de mort – y compris l'an dernier au Bangladesh, en Chine, à Taiwan et au Viêt-Nam – l'opinion devient de plus en plus sensible aux failles de la peine de mort, qui appartient de plus en plus inexorablement au passé COUP DE PROJECTEUR : LE TRAVAIL DE CAMPAGNE CONTRE LA PEINE DE MORT AUX PHILIPPINES Wilnor Papa est responsable Droits humains à Amnistie internationale Philippines. Il a commencé à agir contre la peine de mort en tant que membre du groupe d'Amnistie internationale à l'université des Philippines Diliman. Par la suite, il a rejoint la section des Philippines, où il coordonne le travail de campagne sur différents sujets, dont l'abolition de la peine de mort. Nous avons interrogé Wilnor sur le travail de campagne mené par sa section contre des projets de loi qui rétabliraient cette peine aux Philippines. Il y a un peu moins d'un an, il semblait inévitable que la peine de mort soit rétablie aux Philippines. Pourtant, aujourd'hui, les textes sur ce sujet ne semblent pas être la priorité du Sénat. Comment en sommes-nous arrivés là ? Le gouvernement Duterte avait promis de rétablir la peine de mort avant octobre 2016, et cette annonce avait été très applaudie lors du discours d'investiture du président devant le Congrès. La Chambre des représentants a bien adopté les mesures proposées pour rétablir la peine capitale en mars 2017, mais les efforts locaux et internationaux pour bloquer ces mesures n'ont pas été vains. Pour commencer, notre mobilisation a suscité un débat de haut niveau sur la peine de mort dans le pays, en conséquence de quoi il est devenu plus difficile pour le gouvernement d'obtenir ce qu'il voulait. Les actions coordonnées – de la société civile ainsi que d'acteurs clés aux Philippines et à l'étranger, comme l'Église catholique – nous ont sans aucun doute permis de gagner un temps précieux, en particulier à la fin de l'année dernière, avant l'examen des projets de loi. Cela nous a donné la marge de manœuvre nécessaire pour mieux préparer nos arguments sur les effets de la peine capitale, notamment sur l'économie et la place politique des Philippines sur la scène mondiale. À Amnistie internationale, grâce aux efforts coordonnés de la section philippine, du Secrétariat international et des sections et structures du monde entier, nous avons pu mettre en œuvre de meilleures stratégies de plaidoyer, obtenir des informations en temps réel, mieux faire passer nos messages auprès des législateurs visés et lancer des actions pertinentes et efficaces. Si la proposition de réintroduire la peine de mort a été adoptée à une large majorité à la Chambre des représentants, elle a reçu un accueil très réservé au Sénat. Le dialogue direct lors de rencontres en face à face, l'envoi de lettres et de courriels aux sénateurs clés pour soutenir leurs efforts contre la peine de mort ou au contraire s'opposer à leur position favorable à ce châtiment ont été autant de méthodes efficaces pour amener le Sénat à prendre son temps. Ce qui est déjà un bon résultat, au final. Certains sénateurs nous ont même suppliés de dire aux membres et sympathisants d'Amnistie internationale à travers le monde d'arrêter de leur envoyer des lettres, car ils avaient décidé de voter contre la peine capitale ! Vous aviez déjà participé à une grande campagne contre la peine de mort aux Philippines en 2006, année de son abolition. D'après votre expérience, les arguments ont-ils beaucoup changé ? Quel était le contexte quand le président actuel a évoqué pour la première fois le rétablissement de la peine de mort aux Philippines ? Les arguments contre la peine de mort se sont affinés ces dix dernières années avec, pour ne citer que quelques exemples, des statistiques fondées sur des recherches sur plusieurs dizaines d'années qui prouvent son absence d'effet dissuasif, ainsi que la liste toujours plus longue des instruments internationaux qui jugent cette peine obsolète. En revanche, les arguments en faveur de son rétablissement utilisés devant le Congrès et dans le débat public n'ont pas véritablement évolué. Le public continue d'être favorable à la peine de mort, comme avant son abolition en 2006, essentiellement parce qu'il confond justice et vengeance. Les arguments en ce sens font appel à l'indignation de la population face aux auteurs de crimes dits « haineux », en particulier lorsqu'ils sont supposés être sous l'effet de stupéfiants interdits. Avant l'abolition en 2006, les forces abolitionnistes étaient mieux organisées et se faisaient davantage entendre chaque fois qu'il était question de la peine de mort, que ce soit dans les médias, dans la rue ou dans le milieu universitaire. C'est encore le cas aujourd'hui, mais cette fois le gouvernement Duterte dispose d'une machine de propagande bien financée au sein du Congrès, dans les médias et sur les réseaux sociaux et est très actif dans les quartiers. Bien que la peine de mort ait été rétablie sous le président Ramos et utilisée sous la présidence Estrada et durant les premières années de la présidence Arroyo, aucun de ces gouvernements n'a jamais promu activement les exécutions auprès du grand public comme principal moyen de rendre justice. Comment se passe le travail en faveur des droits humains aux Philippines en ce moment ? Vous et les autres défenseurs des droits humains êtes-vous inquiets ? Le climat actuel aux Philippines est en effet assez difficile. Un peu plus d'un an après l'élection de Duterte à la présidence, plus de 12 000 personnes pourraient avoir été tuées dans la vague d'homicides illégaux résultant de la politique meurtrière du gouvernement contre la drogue. Non seulement ces chiffres sont sans précédent, mais en outre ils pèsent lourdement sur notre travail en faveur des droits humains ainsi que sur le psychisme des Philippins en général. Le soutien que le grand public continue d'apporter au président permet à l'État de poursuivre ces homicides sans relâche et sans avoir à rendre de comptes. À plusieurs reprises, le président a juré que celles et ceux qui s'opposent à sa guerre contre la drogue, en particulier les défenseurs des droits humains, seraient abattus avec les criminels, décapités ou inculpés de collusion. Si aucun cas d'agression de militants ou de défenseurs n'a encore été signalé, ces menaces risquent néanmoins d'être prises au mot par des agents de l'État ou des sympathisants du président, comme c'est le cas avec ses instructions de s'en prendre à tous les auteurs présumés d'infractions liées aux stupéfiants. Un dernier mot pour les militants d'Amnstie internationale ? Continuez à faire campagne pour empêcher le rétablissement de la peine de mort aux Philippines et pour que le gouvernement prenne toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme aux exécutions extrajudiciaires dans ce pays. Aussi peu réjouissante qu'elle puisse paraître, nous ne devons pas laisser la situation actuelle nous décourager et nous devons au contraire travailler plus dur pour que les droits humains, qui sont aujourd'hui attaqués dans différentes parties du monde, soient reconnus, respectés, protégés et mis en œuvre aux Philippines. Nous n'avons pas le choix. Il n'y a pas d'autre voie possible. ![]() Hideko et Iwao Hakamada chez eux au Japon. © Amnistie internationale Japon Le travail de campagne sur des cas emblématiques a été l'un des moteurs du changement dans la région Asie-Pacifique. La remise en liberté provisoire du prisonnier Iwao Hakamada – qui a passé plus de 45 ans dans le quartier des condamnés à mort – en mars 2014 dans l'attente d'un nouveau procès atteste des efforts menés sans relâche par sa sœur Hideko et ses sympathisants au Japon et à travers le monde. Sa libération a jeté un coup de projecteur sur les effets négatifs du secret sur la santé mentale des personnes condamnées à mort au Japon, ainsi que sur la nécessité d'améliorer de toute urgence les garanties dans les enquêtes pénales. Deux mois seulement après la libération de Li Yan, reconnue coupable d'avoir tué son mari après des mois de violences domestiques, la Cour populaire suprême de Chine a annulé sa condamnation à mort. Son cas avait fait grand bruit car, avant de tuer son mari, elle avait contacté les autorités à plusieurs reprises pour demander une protection, mais en vain. Après l'annulation de sa condamnation, en mars 2015, les autorités ont publié de nouvelles directives concernant les condamnations de victimes de violence domestique qui commettent un crime contre l’auteur des sévices. Autre cas emblématique : celui de Yong Vui Kong, jeune Malaisien reconnu coupable du trafic d'une petite quantité d'héroïne, qui a été condamné à la peine de mort alors obligatoire à Singapour pour ce type d'infraction, tandis que son patron singapourien a été acquitté. Des modifications ont ensuite été apportées à la loi pour laisser aux juges une certaine latitude dans le choix de la peine, dans quelques circonstances limitées. Le travail de campagne contre la peine de mort a aussi été efficace pour empêcher des retours en arrière dans la région, par exemple dernièrement aux Philippines (voir plus loin) et contre la reprise des exécutions aux Maldives après plus de 60 ans. PASSEZ À L'ACTION ! Le président des Maldives a annoncé la reprise des exécutions dans son pays. Aidez-nous à lui demander de ne pas remettre en question le bilan positif du pays en matière de peine capitale : https://www.amnesty.org.uk/actions/urgent-stop-executions-maldives.
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Mars 2023
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