Le 21 janvier, une commission d’appel a ordonné que Yahaya Sharif-Aminu, 22 ans, soit à nouveau jugé, et par un juge différent de celui qui avait siégé lors du procès initial, au motif que Yahaya Sharif-Aminu n'avait pas bénéficié des services d’un avocat pendant son procès. Le chanteur a été déclaré coupable et condamné à mort par pendaison pour blasphème en août 2020, pour avoir diffusé sur Whatsapp une chanson contenant des paroles jugées insultantes envers le prophète Mahomet. Les charges qui pèsent sur Yahaya Sharif-Aminu doivent être abandonnées et il doit être libéré immédiatement et sans condition. PASSEZ À L’ACTION : ENVOYEZ UN APPEL EN UTILISANT VOS PROPRES MOTS OU EN VOUS INSPIRANT DU MODÈLE DE LETTRE CI-DESSOUS Gouverneur de l’État de Kano Abdullahi Umar Ganduje Office of the Governor Government House Kano State Nigeria Courriel: Monsieur le Gouverneur, Je vous écris pour vous faire part de mon inquiétude au sujet de Yahaya Sharif-Aminu, un chanteur de 22 ans. Le 10 août 2020, la haute cour islamique de l'État de Kano a déclaré Yahaya Sharif-Aminu coupable de blasphème pour avoir diffusé sur WhatsApp une chanson jugée blasphématoire à l’égard du prophète Mahomet, et l'a condamné à mort. Yahaya Sharif-Aminu est toujours incarcéré dans la prison de Kano. Yahaya Sharif-Aminu et son avocat ont fait appel de sa peine. Le 21 janvier, la commission d’appel, présidée par le premier magistrat de l’État de Kano, a ordonné la tenue d’un nouveau procès dans l’affaire Yahaya Sharif-Aminu. La commission a ordonné que l'affaire soit renvoyée devant la haute cour islamique qui avait condamné Yahaya Sharif-Aminu, mais que celui-ci soit jugé par un juge différent, au motif que l'accusé n’avait pas bénéficié des services d’un avocat pendant son procès, ajoutant qu’il incombait au tribunal de veiller à ce qu'il soit dûment et légalement représenté, compte tenu notamment de l'importance de l'affaire, où l’accusé encourait la peine de mort. La commission a estimé que le fait que l’accusé n’ait pas été défendu par un avocat au cours du procès devant la haute cour islamique était une négligence manifeste, qui frappait de nullité toute la procédure dans cette affaire. La décision de la commission d’appel de faire rejuger Yahaya Sharif-Aminu donne à celui-ci une précieuse occasion d’être défendu par un avocat et de bénéficier d’un procès équitable. Yahaya Sharif-Aminu n’aurait jamais dû être condamné à mort. Nul ne doit être condamné à mort pour avoir exprimé librement ses opinions. L’imposition de la peine de mort à l’issue d’un procès inique viole le droit à la vie, et les procès expéditifs compromettent la capacité des accusé.es à exercer des recours effectifs pour défaut d’assistance juridique lors du procès. De plus, le recours à la peine de mort pour blasphème constitue une violation des obligations du Nigeria en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui dispose que le recours à la peine capitale doit être réservé aux «crimes les plus graves», ce qui selon le droit international correspond aux crimes impliquant des homicides volontaires. En conséquence, je vous prie instamment:
Veuillez agréer, Monsieur le Gouverneur, l'expression de ma haute considération. COMPLÉMENT D’INFORMATION La condamnation à mort prononcée contre Yahaya Sharif-Aminu par la haute cour islamique de l'État de Kano, au Nigeria, a été très critiquée dans tout le pays et par Amnistie internationale, après que plusieurs personnes et instances religieuses se sont indignées publiquement, exhortant le gouverneur de l'État de Kano à signer l’ordre d'exécution à son encontre. De sérieux doutes existaient quant à l’équité du procès de Yahaya Sharif-Aminu et à la formulation des charges retenues contre lui. Avant et pendant le procès, on ne lui a pas permis de recourir aux services d’un avocat. Il a été autorisé à bénéficier d’une assistance juridique pour préparer un recours après que des avocats spécialisés dans la défense des droits humains et des militant.es ont enjoint à la cour de respecter son droit d’être assisté par un avocat. Dans l'État de Kano, en vertu de la charia, le blasphème est une infraction pénale passible de la peine capitale. La peine de mort reste en vigueur au Nigeria et continue d’être appliquée à travers le pays. En 2019, au moins 54 condamnations à mort ont été recensées. Au total, plus 2 700 personnes se trouvaient sous le coup d’une condamnation à mort dans ce pays à la fin de l’année. Au Nigeria, le Groupe national d’étude sur la peine de mort, créé en 2004, et la Commission présidentielle pour la réforme du fonctionnement de la justice, mise en place en 2007, ont tous deux souligné que le système pénal nigérian ne pouvait garantir l’équité des procès et ont appelé à l’instauration d’un moratoire sur la peine de mort. En 2008, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a adopté sa deuxième résolution sur la peine capitale et exhorté les États parties à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, notamment le Nigeria, à «établir […] un moratoire sur les exécutions en vue d’abolir la peine de mort» et à ratifier le Deuxième Protocole du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Dans une étude publiée le 19 avril 2012, le Groupe de travail sur la peine de mort de la Commission africaine a réaffirmé la nécessité d’abolir la peine capitale et a suggéré des moyens pour atteindre cet objectif. LANGUE À PRIVILÉGIER POUR LA RÉDACTION DE VOS APPELS : anglais Vous pouvez également écrire dans votre propre langue. MERCI D’AGIR DANS LES PLUS BREFS DÉLAIS ET AVANT LE : 26 mars 2021 Au-delà de cette date, vérifiez auprès de votre section s’il faut encore intervenir.
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Action urgente - Nigeria. Un chanteur nigérian risque d'être exécuté sous peu, Yahaya Sharif-Aminu.9/4/2020 Yahaya Sharif-Aminu, un chanteur de 22 ans détenu à la prison de Kano, dans l’État de Kano (nord du Nigeria), risque d’être exécuté sous peu depuis qu’une haute cour islamique l’a condamné à mort par pendaison pour avoir diffusé via WhatsApp une chanson considérée comme blasphématoire. Des personnes influentes et des chefs religieux exercent une pression croissante sur les autorités pour appliquer ce jugement le plus vite possible. Yahaya Sharif-Aminu a fait appel de sa condamnation. Il doit être libéré immédiatement et sans condition. PASSEZ À L’ACTION : ENVOYEZ UN APPEL EN UTILISANT VOS PROPRES MOTS OU EN VOUS INSPIRANT DU MODÈLE DE LETTRE CI-DESSOUS Gouverneur Governor Abdullahi Umar Ganduje Office of the Governor Government House Kano Kano State, Nigeria Téléphone : (+234) 7044 930 000 Courriel : Twitter : @GovUmarGanduje Monsieur le Gouverneur, Je vous écris pour vous faire part de mon inquiétude au sujet de Yahaya Sharif-Aminu, un chanteur de 22 ans qui a été condamné à mort. En février 2020, Yahaya Sharif-Aminu a composé une chanson accusée de contenir des paroles désobligeantes envers le prophète Mahomet, ce qui a entraîné son arrestation en mars. Ses proches ont en outre été forcés à quitter leur domicile quand des jeunes en colère ont protesté contre cette chanson et incendié la maison familiale, située dans le quartier de Sharifai, dans la zone de gouvernement local de Kano (nord du Nigeria), le 4 mars. Personne n’a été arrêté ni poursuivi pour ces violences. Le 10 août, Yahaya Sharif-Aminu a comparu devant une haute cour islamique siégeant à Kano, qui l’a déclaré coupable de blasphème. Il est toujours en détention provisoire à la prison de Kano. Après sa condamnation, plusieurs personnes et organes religieux se sont indignés publiquement en vous demandant de signer un ordre d’exécution à son encontre. Yahaya Sharif-Aminu a fait appel de sa peine de mort. J’ai de sérieux doutes quant à l’équité du procès de Yahaya Sharif-Aminu et à la formulation des charges qui pèsent contre lui en raison de ses messages Whatsapp. La peine de mort est le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit. Personne ne devrait être condamné à mort ni exécuté. L’imposition de la peine de mort à l’issue d’un procès inique viole le droit à la vie et les procès expéditifs compromettent la capacité des personnes condamnées à exercer des recours effectifs contre l’assistance juridique insuffisante qu’elles ont reçue lors de leur procès. De plus, le recours à la peine de mort pour blasphème constitue une violation des obligations du Nigeria au regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui dispose que le recours à la peine capitale doit être réservé aux « crimes les plus graves », ce qui selon le droit international correspond aux crimes impliquant des homicides volontaires. Par conséquent, je vous prie instamment : - de ne pas signer d’ordre d’exécution à l’encontre de Yahaya Sharif-Aminu ; - d’ordonner sa libération immédiate et sans condition. Veuillez agréer, Monsieur le Gouverneur, l’expression de ma haute considération. COMPLEMENT D’INFORMATION Le 27 août, le gouvernement de l’État de Kano a publié sur son site Internet officiel une déclaration indiquant que le gouverneur n’hésiterait pas à signer l’ordre d’exécution de Yahaya Sharif-Aminu. De sérieux doutes existent quant à l’équité du procès de Yahaya Sharif-Aminu et à la formulation des charges qui pèsent contre lui. Avant et pendant le procès, il n’a pas pu bénéficier d’une assistance juridique. Il a été autorisé à accéder à une aide juridique pour préparer un recours après que des avocats spécialisés dans la défense des droits humains et des militants ont enjoint à la cour de respecter son droit d’être assisté par un avocat. La loi islamique, qui est appliquée dans de nombreux États du nord du Nigeria, prévoit la peine de mort pour le blasphème. La hisbah (police islamique), organe de sécurité public dans l’État de Kano, veille à l’application de la charia (loi islamique) dans cet État très conservateur. La peine de mort reste en vigueur au Nigeria et continue d’être appliquée à travers le pays. En 2019, au moins 54 condamnations à mort ont été recensées. Au total, plus 2 700 personnes se trouvaient sous le coup d’une condamnation à mort au Nigeria à la fin de l’année. Le Groupe national d’étude sur la peine de mort, créé en 2004, et la Commission présidentielle pour la réforme du fonctionnement de la justice, mise en place en 2007, ont tous deux souligné que le système pénal nigérian ne pouvait garantir l’équité des procès et ont appelé à l’instauration d’un moratoire sur la peine de mort. En 2008, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a adopté sa deuxième résolution sur la peine capitale et exhorté les États parties à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, notamment le Nigeria, à « établir […] un moratoire sur les exécutions en vue d’abolir la peine de mort » et à ratifier le Deuxième Protocole du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Dans une étude publiée le 19 avril 2012, le Groupe de travail sur la peine de mort de la Commission africaine a réaffirmé la nécessité d’abolir la peine capitale et a suggéré des moyens pour atteindre cet objectif. LANGUE À PRIVILÉGIER POUR LA RÉDACTION DE VOS APPELS : anglais ou dans votre propre langue. MERCI D’AGIR DANS LES PLUS BREFS DÉLAIS. NOM : Yahaya Sharif-Aminu (il) Les autorités de l’État de Kano au Nigeria doivent immédiatement annuler la déclaration de culpabilité et la condamnation à mort prononcées contre Yahaya Sharif Aminu, qui a été condamné à mort par pendaison sur la base d’accusations fallacieuses de blasphème par la haute cour islamique de Kano. Yahaya Sharif Aminu, un musicien de 22 ans, a été inculpé de blasphème à l’égard du prophète de l’islam pour une série de messages audio qui ont circulé sur WhatsApp en mars 2020. « C’est une parodie de justice. De sérieux doutes existent quant à l’équité de son procès, et à la formulation des charges qui pèsent contre lui et qui s’appuient sur ses messages WhatsApp. En outre, l’application de la peine de mort après un procès inéquitable constitue une violation du droit à la vie. Yahaya Sharif Aminu doit être libéré immédiatement et sans condition », a déclaré Osai Ojigho, directrice pays du bureau national du Nigeria d’Amnistie internationale. Yahaya Sharif Aminu a été arrêté en mars après que des manifestants ont incendié son domicile familial et mené une procession jusqu’au siège du commandement de la hisbah de Kano pour réclamer son arrestation et des poursuites en justice. La loi islamique, qui est appliquée dans de nombreux États du nord du Nigeria, prévoit la peine de mort pour le blasphème. Cependant, cela constitue une violation des obligations du Nigeria au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui dispose que le recours à la peine capitale doit être réservé aux « crimes les plus graves », ce qui selon le droit international correspond aux crimes impliquant des homicides volontaires. Complément d’information Amnistie internationale est un mouvement mondial regroupant plus de 7 millions de personnes qui prennent chaque injustice comme une attaque personnelle. Nous sommes indépendants de toute idéologie politique, de tout intérêt économique et de toute religion. Nous dénonçons systématiquement les violations des droits humains, quelles que soient les parties impliquées. Amnistie internationale s’oppose en toutes circonstances et sans aucune exception à la peine de mort, quelles que soient la nature et les circonstances du crime commis, la culpabilité ou l’innocence ou toute autre situation du condamné, ou la méthode utilisée pour procéder à l’exécution. La peine capitale viole le droit à la vie inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il s’agit du châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit. ![]() Un tribunal néerlandais prendra connaissance mardi 12 février des premiers éléments d’une affaire décisive concernant Shell. Le géant du pétrole est accusé d’être l’instigateur de graves violations des droits humains commises par le gouvernement contre le peuple ogoni dans les années 90. Esther Kiobel, Victoria Bera, Blessing Eawo et Charity Levula intentent un procès à Shell pour son rôle présumé dans l’arrestation, la détention et l’exécution illégales de leurs époux par l’armée nigériane, à la suite d’une opération de répression brutale envers des manifestants ogonis contre la pollution dévastatrice causée par Shell dans la région. Voir aussi : Nigeria : Graves négligences des géants pétroliers Shell et Eni « Shell se démène depuis des années pour que cette affaire ne soit pas entendue par un tribunal. Ils ont les ressources nécessaires pour se battre contre moi, au lieu d’aider à ce que justice soit rendue pour mon mari », a déclaré Esther Kiobel. Amnistie internationale, qui soutient les demanderesses et l’équipe d’avocat·e·s ayant porté l’affaire devant la justice, a indépendamment recueilli des informations sur le rôle de Shell dans des homicides, viols et actes de torture perpétrés par le gouvernement nigérian dans le cadre de manœuvres visant à écraser la protestation. Barinem Kiobel, Baribor Bera, Nordu Eawo et Paul Levula ont été pendus en 1995 après un simulacre de procès. Leurs veuves demandent désormais une indemnisation et des excuses publiques de la part de Shell. Cinq autres hommes, dont Ken Saro-Wiwa, chef de file des manifestations, ont été exécutés à leurs côtés. Ces hommes sont désormais collectivement connus comme les « neuf Ogonis ». « Ce sera la première fois, dans ce combat pour la justice qui dure depuis plus de 20 ans, qu’Esther Kiobel et les autres demanderesses auront la possibilité de livrer leur récit devant la justice. Ces femmes pensent que leurs époux seraient toujours vivants aujourd’hui si Shell n’avait pas fait preuve d’un tel égoïsme, qui a encouragé la répression sanglante du gouvernement contre les manifestants, alors même que l’entreprise en connaissait le coût humain », a déclaré Mark Dummett, du programme Affaires et droits humains à Amnistie internationale. « Malgré l’existence de nombreux documents secrets constituant des éléments à charge contre Shell, cette société parvient à se soustraire à la justice depuis des années et n’a jusqu’à présent jamais eu à répondre de ces accusations devant la justice. C’est un moment crucial qui s’annonce, en particulier pour toutes les personnes qui ont souffert de l’avidité et de l’irresponsabilité de multinationales dans le monde. » Faire un procès à une puissante multinationale pour les torts qu’elle a causés dans un autre pays est un processus très long. Esther Kiobel a intenté un premier procès à Shell en 2002 à New York mais, en 2013, la Cour suprême a statué que les États-Unis n’étaient pas compétents en l’espèce. Cela signifie que la justice américaine n’a jamais examiné le fond des allégations contre Shell. Les quatre demanderesses accusent Shell d’avoir joué un rôle déterminant dans : l’arrestation et l’incarcération illégales de leurs époux ; les atteintes à l’intégrité physique de ces hommes ; les violations du droit de ceux-ci à un procès équitable et à la vie, et de leur propre droit à une vie de famille. Amnistie internationale a soutenu les avocat·e·s d’Esther Kiobel lorsqu’ils ont saisi la justice néerlandaise de l’affaire en 2017, et a décrit le rôle de Shell dans ces arrestations et exécutions dans une synthèse intitulée In The Dock. Les demanderesses réclament également que le tribunal ordonne à Shell de livrer plus de 100 000 documents internes essentiels au dossier. Les avocats de Shell ont refusé de le faire, bien que ces documents aient été soumis à titre de preuve dans le cadre de la procédure américaine. « Il est temps de mettre fin à l’impunité de Shell, qui dure depuis des décennies », a déclaré Mark Dummett. « Le courage et la résilience de ces femmes, ainsi que leur détermination à rétablir la réputation de leurs époux et à amener Shell à rendre des comptes, sont admirables. Elles ont le soutien des militant·e·s d’Amnistie internationale du monde entier. » Pour un récapitulatif complet de l’affaire, reportez-vous à la synthèse d’Amnistie internationale intitulée In The Dock (en anglais). Pour en savoir plus sur la quête de justice d’Esther Kiobel, lisez Une femme contre Shell. L’audience aura lieu au tribunal de district de La Haye mardi 12 février. ![]() - De nombreux documents internes et autres éléments tenus secrets tendent à prouver la complicité de Shell dans des crimes atroces commis par l’armée nigériane dans les années 1990 - Dans un nouveau rapport, Amnistie internationale demande l’ouverture d’une information judiciaire Amnistie internationale appelle le Nigeria, le Royaume-Uni et les Pays-Bas à diligenter une enquête sur le rôle du géant pétrolier anglo-néerlandais Shell dans une série de crimes atroces commis par l’armée nigériane en pays ogoni, une région productrice d’hydrocarbures, dans les années 1990. L’organisation a publié une analyse qui fera date. Aux fins de ce rapport, elle a examiné des milliers de pages de documents internes de l’entreprise et de déclarations de témoins, ainsi que ses propres archives de l’époque. La campagne militaire destinée à faire taire les Ogonis protestant contre la pollution imputable à Shell a donné lieu à des violations des droits humains graves et généralisées, dont beaucoup constituaient des infractions pénales. « Les éléments que nous avons analysés montrent que Shell a encouragé à plusieurs reprises l’armée nigériane à faire cesser les manifestations en pays ogoni, même lorsque l’entreprise était consciente des horreurs auxquelles cela aboutirait : homicides illégaux, viols, torture, villages incendiés, a déclaré Audrey Gaughran, directrice du programme Thématiques internationales à Amnistie internationale. « Dans ce contexte de répression brutale, Shell a même prêté à l’armée un appui matériel, notamment en matière de transport, et a versé de l’argent au moins une fois à un militaire haut gradé tristement célèbre pour les violations des droits humains qu’il commettait. Il est scandaleux que l’entreprise n’ait jamais apporté de réponse à ce sujet. « Il ne fait aucun doute que Shell a joué un rôle clé dans les événements qui ont bouleversé le pays ogoni dans les années 1990 mais nous sommes désormais convaincus qu’il y a matière à ouvrir une information judiciaire. La mise au jour et le rassemblement d’innombrables documents tenus secrets a été une première étape nécessaire pour faire traduire Shell en justice. Nous allons maintenant préparer un dossier pénal à soumettre aux autorités compétentes en vue de poursuites. » La campagne de l’État nigérian contre le peuple ogoni a atteint son point culminant il y a 22 ans, avec les exécutions de neuf hommes ogonis, dont Ken Saro-Wiwa, l’écrivain et militant qui dirigeait les manifestations. Ces exécutions ont fait suite à un procès manifestement inique et ont déclenché un tollé international. En juin 2017, les veuves de quatre des hommes concernés ont déposé une requête contre Shell au Pays-Bas, accusant l’entreprise de complicité dans la mort de leurs époux. Une personne ou une entreprise peut être tenue pour pénalement responsable d’une infraction si elle l’encourage, la permet, l’aggrave ou la facilite, même sans en être l’auteur direct. Savoir que le comportement d’une entreprise risque de contribuer à une infraction ou entretenir une relation étroite avec les auteurs, par exemple, peut engager la responsabilité pénale. Dans son nouveau rapport (en anglais) intitulé A Criminal Enterprise?, Amnistie internationale défend l’idée que la société Shell était ainsi impliquée dans des crimes commis en pays ogoni. Dans les années 1990, Shell était la plus grande entreprise du Nigeria. Pendant la crise en pays ogoni, Shell et l’État nigérian étaient des partenaires commerciaux, qui s’entretenaient régulièrement au sujet de la protection de leurs intérêts. Selon des notes internes et des comptes-rendus de réunion, Shell a fait pression sur de hauts représentants de l’État pour obtenir un appui militaire, même après que les forces de sécurité ont tué de nombreux manifestants. Ces documents montrent aussi que l’entreprise a apporté à plusieurs reprises une aide logistique ou financière à l’armée ou à la police, alors qu’elle avait parfaitement conscience que les forces de sécurité avaient lancé des attaques meurtrières contre des villageois sans défense. Shell a toujours nié son implication dans des violations des droits humains mais aucune enquête n’a été menée sur les allégations en question. Ce que Shell savait Le Mouvement pour la survie du peuple ogoni (MOSOP) a été l’instigateur des manifestations organisées en pays ogoni après plusieurs années de fuites d’hydrocarbures imputables à Shell, qui avaient détruit l’environnement. En janvier 1993, le MOSOP a déclaré que l’entreprise n’était plus la bienvenue dans la région, ce qui a contraint celle-ci à se retirer temporairement en invoquant des préoccupations liées à la sécurité. Bien que la société ait tenté publiquement de minimiser les dommages environnementaux qu’elle avait causés, des documents internes révèlent que ses dirigeants savaient que le MOSOP avait des griefs légitimes et s’inquiétaient profondément du mauvais état des conduites. Le 29 octobre 1990, Shell a sollicité la protection de la police mobile, une unité d’élite paramilitaire, pour son site d’Umuechem, où se déroulaient des manifestations pacifiques. Les deux jours suivants, la police mobile, armée de pistolets et de grenades, a attaqué le village, tuant au moins 80 personnes et incendiant 595 maisons. Nombre de corps ont été jetés dans une rivière voisine. À partir de ce moment, si ce n’est plus tôt, les cadres de Shell ont compris les risques découlant des demandes d’intervention adressées aux forces de sécurité. Des éléments indiquent clairement que la société a continué à le faire malgré tout. En 1993, par exemple, peu après avoir quitté le pays ogoni, Shell a appelé a plusieurs reprises l’État nigérian à déployer l’armée dans la région pour protéger une nouvelle conduite que des entrepreneurs étaient en train d’installer. Ainsi, 11 personnes ont été touchées par des tirs le 30 avril dans le village de Biara et un homme a été abattu le 4 mai dans celui de Nonwa. Moins d’une semaine après cet homicide, les cadres de Shell ont organisé une série de réunions avec de hauts représentants de l’État et des forces de sécurité. Il ressort des comptes-rendus que l’entreprise a fait pression activement sur les autorités et les forces de sécurité afin de pouvoir continuer à mener ses activités en pays ogoni, en échange d’une aide « logistique », au lieu de soulever le problème des coups de feu tirés sur des manifestants sans arme. Soutien financier Shell a aussi proposé un soutien financier. Un document interne révèle que, le 3 mars 1994, la société a versé plus de 900 dollars des États-Unis à l’Équipe spéciale chargée de la sécurité intérieure (ISTF), une unité créée pour « restaurer l’ordre » en pays ogoni. Dix jours seulement auparavant, le commandant de cette unité avait ordonné de tirer sur des manifestants sans arme devant le siège régional de Shell, à Port Harcourt. Selon le document, l’entreprise aurait fait ce geste financier pour montrer sa gratitude et inciter l’ISTF à être constamment bien disposée à son égard lors de ses futures missions. « Plusieurs fois, les demandes d’aide adressées par Shell à l’État pour régler ce que l’entreprise appelait le “problème ogoni” ont été suivies d’une nouvelle vague de violations brutales des droits humains par l’armée en pays ogoni. Il est difficile de ne pas y voir un lien de cause à effet ou de supposer que Shell n’avait pas conscience, à l’époque, de la manière dont ses sollicitations étaient interprétées, a déclaré Audrey Gaughran. « L’entreprise a parfois joué un rôle plus direct dans les opérations sanglantes, notamment en transportant des membres des forces armées pour qu’ils mettent fin à des manifestations, même lorsque les conséquences étaient devenues évidentes. Cela revenait sans équivoque à permettre ou à faciliter les crimes atroces qui étaient commis par la suite. » Des villages désignés Le 13 décembre 1993, peu après le putsch qui a porté au pouvoir le général Sani Abacha, Shell a écrit au nouvel administrateur militaire de l’État de Rivers, désignant nommément les villages où des manifestations hostiles à son égard avaient eu lieu et demandant de l’aide. Un mois plus tard, les autorités ont créé l’ISTF. Dans le courant de l’année 1994, les violences faites aux Ogonis ont atteint des sommets dans l’horreur lorsque l’ISTF a mené des raids contre des villages, où ses membres ont tué, violé, torturé et procédé à des arrestations. Selon un rapport d’Amnistie internationale publié le 24 juin 1994, une trentaine de villages avaient été attaqués et plus de 50 Ogonis auraient été victimes d’une exécution extrajudiciaire. Le commandant de l’ISTF s’en est vanté à la télévision et ces raids ont été largement médiatisés. En juillet 1994, l’ambassadeur des Pays-Bas à signalé à Shell que l’armée avait tué quelque 800 Ogonis. Ken Saro-Wiwa dans la ligne de mire Des documents internes montrent que Brian Anderson, alors président de Shell au Nigeria, a rencontré le général Sadi Abacha à trois reprises au moins en 1994 et 1995, au plus fort de la crise en pays ogoni. Le 30 avril 1994, il a soulevé le « problème des Ogonis de Ken Saro-Wiwa » et décrit les conséquences économiques de l’opposition du MOSOP. Ken Saro-Wiwa était déjà dans la ligne de mire des autorités et, en citant son nom, Brian Anderson a dangereusement encouragé une action contre lui. Il a expliqué qu’il était ressorti de l’entretien avec le sentiment que Sadi Abacha ferait intervenir l’armée ou la police. Dans le mois qui a suivi, Ken Saro-Wiwa et d’autres dirigeants du MOSOP ont été arrêtés, accusés sans preuve d’être impliqués dans le meurtre de quatre chefs traditionnels de premier plan et détenus au secret. Ils ont été soumis à des actes de torture et d’autres mauvais traitements en détention, avant d’être déclarés coupables à l’issue d’un procès fantoche et exécutés en novembre 1995. D’après les documents examinés par Amnistie internationale, Shell savait qu’il était fort probable que Ken Saro-Wiwa soit déclaré coupable et exécuté. Malgré cela, l’entreprise a continué à chercher des moyens de résoudre le « problème ogoni » avec les autorités. Il est donc difficile de croire qu’elle n’a pas encouragé, voire approuvé les mesures prises contre Ken Saro-Wiwa et les autres personnes concernées. Amnistie internationale demande l’ouverture d’une enquête dans les trois pays ayant compétence dans cette affaire : le Nigeria, où les crimes ont été commis, et le Royaume-Uni et les Pays-Bas, où se trouvent les sièges de Shell. « Dans les dernières paroles qu’il a adressées au tribunal qui l’a déclaré coupable, Ken Saro-Wiwa a prévenu que Shell se retrouverait un jour devant la justice. Nous sommes déterminés à faire en sorte que cela devienne réalité, a déclaré Audrey Gaughran. « Il faut que justice soit rendue, pour Ken Saro-Wiwa et pour les milliers d’autres personnes dont la vie a été détruite du fait des dommages irréversibles occasionnés par Shell en pays ogoni. » Complément d’information Des documents internes, notamment des télécopies, des lettres et des courriels échangés entre différents bureaux de Shell montrent que le personnel basé au Nigeria ne porte pas seul la responsabilité des agissements de l’entreprise pendant la crise en pays ogoni. Ils indiquent en effet que la direction, à La Haye et à Londres, avait pleinement conscience, de bout en bout, de ce qui se passait au Nigeria. Une note fait référence à l’aval donné au plus au niveau de l’entreprise sur une stratégie détaillée élaborée par Shell Nigeria en décembre 1994 pour répondre à d’éventuelles critiques à la suite des manifestations des Ogonis. En mars 1995, les dirigeants de Shell à Londres ont rencontré des représentants de l’armée nigériane dans cette ville et sont convenus d’organiser des entretiens réguliers afin de partager des informations. Amnistie internationale a écrit à Royal Dutch Shell et à Shell Nigeria en vue de recueillir leurs réactions. Voici la réponse de Shell Nigeria : « Les allégations contre [Royal Dutch Shell] et [Shell Nigeria] citées dans votre lettre sont fausses et dénuées de fondement. [L’entreprise Shell Nigeria] ne s’est pas entendue avec les autorités militaires pour réprimer des troubles communautaires et n’a aucunement encouragé ni prôné un quelconque acte de violence au Nigeria. En réalité, elle est convaincue que le dialogue est le meilleur moyen de résoudre les différends. Nous avons toujours nié ces allégations avec la plus grande fermeté. » ![]() En novembre 1995, l'État nigérian a arbitrairement exécuté neuf hommes à l’issue d’un procès manifestement inéquitable. Ces exécutions ont déclenché un tollé au sein de la communauté internationale. Les États-Unis et l'Union européenne ont imposé des sanctions au Nigeria. Le pays a également été suspendu du Commonwealth. Officiellement accusés d'implication dans un meurtre, ces hommes avaient de fait été traduits en justice pour s’être opposés au géant pétrolier anglo-néerlandais Shell au sujet de son impact dévastateur sur le pays ogoni dans le delta du Niger, la région pétrolière du Nigeria. Les exécutions ont été le point culminant d’une campagne brutale menée par l’armée nigériane en vue d’étouffer les manifestations du Mouvement pour la survie du peuple ogoni (MOSOP), dirigé par l’auteur et défenseur des droits humains Ken Saro-Wiwa, l’un des hommes exécutés. Le MOSOP protestait contre le fait que des tiers s’étaient enrichis grâce au pétrole extrait sur les terres des Ogonis et que la pollution due aux déversements et aux torchères avait « provoqué une dégradation profonde de l’environnement, à l’origine d’une catastrophe écologique ». En janvier 1993, le MOSOP a déclaré que l’entreprise Shell n’était plus la bienvenue en pays ogoni. Les autorités militaires ont réagi avec force aux actions du MOSOP et ont commis, dans ce contexte, beaucoup de graves violations des droits humains, notamment des homicides illégaux à l’encontre de centaines d’Ogonis, des actes de torture et d’autres mauvais traitements, y compris des viols et la destruction des habitations et des moyens de subsistance des populations. Nombre de ces atteintes aux droits humains constituaient également des infractions pénales. Le présent rapport s’intéresse au rôle joué par la multinationale anglo-néerlandaise Shell dans ces actes de violations des droits humains et ces infractions. L’entreprise a joué un rôle central dans les événements survenus en pays ogoni dans les années 1990, cela est indéniable : à l’époque le MOSOP protestait contre les impacts environnementaux et sociaux négatifs des activités de Shell sur la communauté ogoni. Il demandait le départ de l'entreprise de la région. Invoquant des raisons sécuritaires, Shell avait arrêté ses activités en pays ogoni au début de l’année 1993, mais par la suite, elle avait cherché à revenir dans la région et à mettre fin aux manifestations du MOSOP. Shell a toujours nié avoir joué un rôle dans les violences et les violations flagrantes des droits humains commises en pays ogoni dans les années 1990. Toutefois, Amnistie internationale a procédé à l’examen détaillé de plusieurs milliers de pages de documents internes de l’entreprise ainsi que des témoignages qui révèlent ce que Shell savait et les relations qu’elle entretenait avec les forces de sécurité nigérianes durant toute cette période. De nombreux documents de l'entreprise mentionnés dans le présent rapport ont été publiés dans le cadre de procédures judiciaires engagées aux États-Unis. Ils incluent des comptes rendus de réunions avec les dirigeants nigérians, y compris le général-président Sani Abacha, des documents de stratégie, des notes internes et des lettres adressées à des hauts responsables. Le rapport s’appuie également sur les archives d'Amnistie internationale et sur son travail dans le delta du Niger à l'époque. C’est la première fois qu’une organisation compile toute cette documentation et l’analyse. Selon Amnistie internationale, ces éléments soulèvent de graves questions sur l'ampleur de l'implication de Shell non seulement dans des violations flagrantes des droits humains mais également dans des comportements criminels. SHELL ET LE GOUVERNEMENT NIGÉRIAN : « INEXTRICABLEMENT LIÉS » Dans les années 1990, Shell était de loin la plus grande entreprise implantée au Nigeria. En 1995, elle extrayait près d'un million de barils de pétrole brut par jour, soit environ la moitié de la production nationale. Les exportations d’hydrocarbures du Nigeria représentaient 95,7 % des recettes de sources étrangères du pays. Elles étaient donc vitales pour son économie. Ainsi, il était de l’intérêt et de l’État nigérian et de l'entreprise de veiller à ce que le pétrole continue de couler à flot. Shell et le gouvernement étaient des partenaires commerciaux qui exploitaient les gisements de pétrole nigérians à très haut rendement dans le cadre d’une co-entreprise. Les deux entités étaient en contact permanent, ainsi que le président de Shell Nigeria de 1994 à 1997, Brian Anderson l’a reconnu : « Le gouvernement et l'industrie pétrolière sont inextricablement liés. » Les activités de Shell au Nigeria ont également largement contribué au bilan global de la multinationale. Un document de stratégie interne datant de 1996 révèle que le Nigeria abritait la plus grande partie des réserves pétrolières et gazières mondiales de l’entreprise et que Shell Nigeria avait « accès à la plus grande base de ressources d'hydrocarbures à faible coût du groupe qui permettrait de maintenir la production de pétrole pendant près de 100 ans au niveau d’alors ». Les manifestations des Ogonis privaient non seulement Shell et le gouvernement de l'accès aux puits dans cette région, mais elles menaçaient également de perturber le fonctionnement d'un oléoduc qui assurait le transport du pétrole en provenance des autres régions à travers le pays ogoni. Le gouvernement à Abuja craignait également que les manifestations se répandent à travers toute la région pétrolière où à d'autres communautés qui partageaient les griefs des Ogonis. D’après une note interne de Shell, le général Sani Abacha qui était arrivé au pouvoir par un coup d'État en novembre 1993, « semblait avoir du mal à croire qu'une si petite tribu puisse avoir l'effronterie de causer tant de problèmes ». SHELL SAVAIT QUE LES GRIEFS DU MOSOP ÉTAIENT LÉGITIMES. Tout en présentant les manifestations des Ogonis comme un problème essentiellement économique, Shell a minimisé les inquiétudes environnementales de la communauté et d’autres problèmes. Shell a nié dans plusieurs déclarations publiques que ses activités avaient occasionné des problèmes environnementaux. Ce qui était totalement faux. Les documents internes révèlent que les hauts dirigeants étaient très préoccupés par le mauvais état des oléoducs vieillissants, mal entretenus et non étanches. C’est ainsi qu’en novembre 1994, Bopp Van Dessel, le chargé des études environnementales à Shell Nigeria a démissionné de son poste se disant incapable de défendre le bilan environnemental de l'entreprise « sans perdre son intégrité personnelle ». Bopp Van Dessel a rendu publiques ces allégations lors d’un entretien accordé à une chaîne de télévision en 1996. Il a déclaré ceci : « [Les dirigeants de Shell] ne respectaient pas leurs propres normes ; ils ne respectaient pas les normes internationales. Tous les sites de l’entreprise que j’ai vus étaient pollués. Tous les terminaux que j’ai vus étaient pollués. Pour moi, il était évident que Shell était en train de détruire la zone. » Alors que les déclarations de Bopp Van Dessel portent sur l'ensemble des activités de Shell dans le delta du Niger, d'autres sources crédibles fournissent des preuves de la situation qui a prévalu en pays ogoni. Après s’être penchée sur cette situation en 1996, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a conclu que les niveaux de pollution et de dégradation de l'environnement dans la région étaient « humainement inacceptables et avaient contribué à faire de la vie en pays ogoni un véritable cauchemar ». Une étude scientifique menée en 2011 par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) sur l'environnement du pays ogoni a confirmé que l’air, l'eau et le sol étaient gravement pollués et que la pollution par les hydrocarbures remontait à plusieurs décennies. VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS EN PAYS OGONI DE 1993 À 1996. En janvier 1993, Shell s'est retirée du pays ogoni alléguant des problèmes de sécurité pour son personnel. Certaines de ces inquiétudes étaient fondées : le personnel de Shell avait à plusieurs reprises fait l'objet d'intimidations et d'agressions physiques. Shell a tenté de faire porter la responsabilité de ces attaques au MOSOP, mais Ken Saro-Wiwa et le MOSOP avaient toujours souligné le caractère pacifique du mouvement. Ils avaient de même activement tenté d'arrêter les membres de la communauté qui se livraient à des violences. Bien qu’ayant annoncé son retrait de la région et sachant que le peuple ogoni ne souhaitait plus sa présence, Shell a demandé à ses entrepreneurs d’installer un nouvel oléoduc dans la région. L’entreprise qui savait bien que le risque était grand que les forces de sécurité réagissent aux manifestations de la communauté par un recours à la force excessive, voire meurtrière a tout de même exhorté l'armée à repousser les manifestants qui tentaient de bloquer les travaux. Le 30 avril 1993, dans le village de Biara, des soldats qui assuraient la sécurité des entrepreneurs de Shell ont ouvert le feu sur des manifestants, blessant 11 d'entre eux. Plusieurs jours plus tard, à Nonwa, des soldats ont à nouveau tiré sur des manifestants, faisant un mort. Rien ne prouve que les forces armées avaient été attaquées par les membres de la communauté ou que leur recours à la force ait été de quelque manière que ce soit proportionnel ou justifié. À partir de la mi-1993, les forces de sécurité ont provoqué à une série d'attaques violentes contre les Ogonis et y ont pris part. Par la suite, le gouvernement a cherché, en vain, à imputer ces attaques aux tensions intercommunautaires. Un rapport officiel publié en 2002 a conclu que ces attaques avaient provoqué la mort d'environ 1 000 personnes, détruit dix villages et fait 30 000 sans-abri. Les rescapés ont raconté aux journalistes que certains des assaillants portaient des uniformes de l'armée et qu’ils avaient fait usage d’armes automatiques et de grenades. De nombreuses personnes ont perdu la vie suite à l’usage arbitraire de la force meurtrière, tandis que d'autres ont été exécutées de manière extrajudiciaire. En 1996, deux soldats interrogés par Human Rights Watch ont déclaré avoir participé à une attaque. À la suite de ces attaques, Shell a tenté de retourner sur les terres des Ogonis en octobre 1993 pour inspecter ses sites de production pétrolière – sous escorte de l'armée nigériane. Compte tenu des événements de Biara et de Nonwa ainsi que des attaques très médiatisées qui avaient déchiré le peuple ogoni, cette démarche était imprudente et provocatrice. Des manifestations ont de nouveau éclaté dans le village de Korokoro. Les versions divergent sur le déclenchement des affrontements, toutefois il s’avère que les militaires ont ouvert le feu, tuant un autre homme. Peu après, en novembre 1993, le ministre de la Défense, le général Sani Abacha s'emparait du pouvoir par un coup d'État. Il interdit toute activité politique, remplace les gouverneurs civils par des administrateurs militaires, emprisonne et fait exécuter des opposants. Le gouvernement Abacha met en place la Rivers State Internal Security Task Force (ISTF) pour « restaurer et préserver la loi et l'ordre public en pays ogoni ». L'un des objectifs était de faire en sorte que les personnes « exerçant une activité économique…ne soient pas agressées ». À l’époque, Shell et ses sous-traitants étaient les seuls acteurs économiques majeurs en pays ogoni. Ce qui laisse supposer que dès le départ, l’objectif principal de l'ISTF était de permettre à Shell, la plus grande entreprise du pays ogoni, de reprendre ses activités. Le 12 mai 1994, le commandant de l'ISTF, le lieutenant-colonel Paul Okuntimo a exposé ses plans dans une note confidentielle que le MOSOP a pu se procurer et qu’il a communiquée aux médias. Dans ce document, Paul Okuntimo confiait que : « Les activités de Shell toujours impossibles à moins que des opérations militaires brutales ne soient engagées pour assurer le bon démarrage des activités économiques. » Amnistie internationale n'a pas pu vérifier de manière indépendante l'authenticité de la note. Shell pour sa part a mis en cause son authenticité. Toutefois, quelques jours après sa publication, la crise en pays ogoni s'est aggravée. Le 21 mai 1994, des dirigeants du MOSOP, dont Ken Saro-Wiwa, ont été accusés d'implication dans le meurtre de quatre éminents chefs traditionnels puis arrêtés par l'ISTF. Ils ont été victimes d’actes de torture et d'autres mauvais traitements en détention. Pendant ce temps, l'ISTF lançait des raids sur les villages ogonis. Elle a commis de nombreuses exécutions extrajudiciaires et plusieurs autres exactions, violé des femmes et des jeunes filles et incarcéré et torturé de nombreuses personnes. Le commandant de l’ISTF est passé à la télévision et a publiquement reconnu certaines tactiques employées par l’armée : « Pendant les trois premiers jours de l'opération, j'ai procédé à des attaques dans la nuit. Personne ne savait d'où venait l'attaque. Ma stratégie était très simple, des détachements de soldats étaient constitués et postés aux quatre coins de la ville. Ils… sont armés de fusil[s]d'assaut dont le bruit rappelle la mort. Quiconque les entend s'immobilise sur-le-champ. » On ignore encore le nombre de personnes qui ont trouvé la mort au cours de ces attaques avant que la tension ne redescende vers la fin août 1994. Selon un rapport d'Amnistie internationale publié le 24 juin 1994, une trentaine de villages ont été attaqués et « plus de 50 membres de l'ethnie ogoni auraient été exécutés de manière extrajudiciaire ». En juillet de la même année, l'ambassadeur néerlandais a révélé au géant pétrolier que l'armée avait tué environ 800 Ogonis. SHELL CONNAISSAIT LE RISQUE D’UN RECOURS À UNE INTERVENTION MILITAIRE Il existe des preuves irréfutables que Shell savait que les forces de sécurité nigérianes avaient commis de graves violations lorsqu'elles ont été déployées pour réprimer les manifestations de la communauté. L’entreprise connaissait les risques depuis au moins 1990, année où Shell avait sollicité l'aide d'une unité de police paramilitaire pour contrer des manifestants pacifiques dans le village d'Umuechem, également dans le delta du Niger. D'après une enquête officielle, les forces de police avaient fait une descente musclée dans la communauté « telle une armée d'invasion qui s'était jurée de prendre jusqu’à la dernière goutte de sang de l'ennemi », et les policiers, armés de fusils d’assaut et de grenades avaient tué 80 personnes. Il ressort clairement des déclarations publiques et des documents internes de l'entreprise qu'au moins à partir de ce moment-là les dirigeants de Shell connaissaient et comprenaient les risques liés à une intervention des forces de sécurité contre les manifestants. C'était bien avant que l'ISTF ne procède au lancement de ses opérations en mai 1994. Par exemple, une note interne de Shell datée du 23 février 1993 révèle que les hauts dirigeants de Shell craignaient qu'une « présence militaire [...] ne débouche sur des affrontements qui pourraient avoir des conséquences catastrophiques ». Ces risques ont été confirmés par trois autres épisodes avec des manifestants sur la période 1992-1993 : la mort d'un homme et plusieurs autres blessés sur l'île Bonny en juillet 1992, après que Shell eut dépêché par avion une « Force d'intervention rapide » constituée d’un contingent de la police paramilitaire sur le terrain ; et par les deux événements mentionnés plus haut, lorsque des soldats ont ouvert le feu sur des riverains le long de l’oléoduc en avril et mai 1993. En février 1994, Shell avait reçu une confirmation supplémentaire – comme s'il en était besoin – des risques spécifiques associés au recours à une intervention militaire, lorsque l'ISTF alors sous les ordres du lieutenant-colonel Paul Okuntimo a tiré sur des milliers de manifestants pacifiques devant le portail principal du siège de Shell à Port Harcourt, faisant plusieurs blessés dans la foule. SHELL ÉTAIT AU COURANT DES VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS COMMISES EN PAYS OGONI À partir de la mi-1993, au moment de la recrudescence de la violence en pays ogoni, il est inconcevable que Shell n'ait pas été informée de la détérioration de la situation des droits humains. L'implication des forces armées a fait l'objet de nombreux rapports à l'époque, tant au Nigeria que sur la scène internationale. Plusieurs organisations dont Amnesty International ont publié de nombreux documents attirant l'attention sur des épisodes particuliers, tels que la détention de Ken Saro-Wiwa et les exécutions extrajudiciaires d’Ogonis par les forces de sécurité. Ce que savait le géant pétrolier allait bien au-delà des événements largement médiatisés. Les dirigeants rencontraient régulièrement les hauts responsables du gouvernement pour discuter de la stratégie de ce dernier pour faire face aux manifestations des Ogonis. Shell entretenait des liens étroits avec l'Agence de sécurité intérieure du Nigeria. L'ancien chef de la sécurité de Shell pour la région a fait une déclaration en tant que témoin dans laquelle il a révélé qu'il partageait quotidiennement des informations avec ce service. SHELL A ENCOURAGÉ LE GOUVERNEMENT À METTRE FIN AUX MANIFESTATIONS DES OGONIS Les documents internes de Shell révèlent que les dirigeants de l'entreprise ont à plusieurs reprises attiré l'attention des hautes autorités du gouvernement sur les répercussions économiques des manifestations des Ogonis et qu’ils leur ont demandé de résoudre le « problème ». Par exemple, le 19 mars 1993, Shell a adressé une lettre au gouverneur de l’État de Rivers, où vit le peuple ogoni, lui demandant « d'intervenir pour [lui] permettre de mener à bien [ses] activités, vu [leur] caractère stratégique pour l'économie de la Nation ». Après que le général Sani Abacha s’est emparé du pouvoir en novembre 1993, Shell a écrit presque immédiatement au nouvel administrateur militaire de l’État de Rivers (le 13 décembre) en indiquant que « les troubles, les barrages et le sabotage mené par la communauté avaient occasionné une baisse de la production de près de neuf millions de barils au cours de l'année ». L’entreprise a ainsi sollicité son aide afin de « réduire les perturbations ». Dans sa lettre, le géant pétrolier a nommé les communautés concernées, à savoir celles du pays ogoni. Peu de temps après, l'administrateur militaire a procédé à la mise en place de l’ISTF. Shell a ensuite eu d'autres occasions de faire pression sur le gouvernement pour l’amener à agir. Le président de Shell Nigeria de l'époque, Brian Anderson, a été reçu à au moins trois reprises par Sani Abacha au plus fort de la crise ogoni entre 1994 et 1995. Lors de leur première rencontre (qui s’est tenue le 30 avril 1994), Brian Anderson a indiqué qu'il avait soulevé « le problème ogoni et Ken Saro-Wiwa, soulignant que Shell avait été absente de la région depuis près d'un an. Nous lui avons fait part des dégâts qu'ils avaient occasionnés sur les sites de nos opérations et dont il n'avait apparemment pas conscience. » Entre 1994 et 1995, période pendant laquelle s'inscrivent plusieurs des événements mentionnés dans le présent rapport, Shell et le gouvernement étaient également en pourparlers au sujet d'un projet de gaz naturel liquéfié d’une valeur de 4 milliards de dollars (l'un des investissements les plus importants en Afrique à l’époque). Shell a annoncé la poursuite de ce projet de partenariat seulement cinq jours après l'exécution des neuf militants ogonis. SHELL A SOLLICITÉ ET ENCOURAGÉ L’INTERVENTION DES FORCES DE SÉCURITÉ ET DES AUTORITÉS MILITAIRES NIGÉRIANES Même si le géant pétrolier savait que de graves violations des droits humains étaient quasi inévitables, il a encouragé et sollicité l'intervention des forces de sécurité nigérianes et des autorités militaires. En 1993, Shell a demandé à plusieurs reprises au gouvernement nigérian de déployer l'armée en pays ogoni pour empêcher que des manifestations ne perturbent la pose du gazoduc. Onze personnes ont été blessées par balle à Biara le 30 avril et un homme a été tué par balle à Nonwa, le 4 mai. D'après un document interne de Shell, les dirigeants de l’entreprise ont même conseillé à l'armée nigériane de ne pas libérer les manifestants arrêtés tant que l'armée ne recevrait pas des engagements de la part de leur communauté de mettre fin aux manifestations, ce qui revenait à solliciter directement une violation des droits humains des détenus. Shell a également présenté des demandes générales pour l'intervention des autorités militaires en pays ogoni. Les dirigeants de Shell ont rencontré des hauts responsables du gouvernement et de la sécurité à Abuja le 11 mai 1993 après que l’entreprise eut décidé de suspendre la pose du gazoduc à la suite des affrontements entre les manifestants et l'armée. Lors d'une réunion avec l'inspecteur général de la police, « nous avons saisi cette occasion pour souligner la nécessité d'une présence policière supplémentaire dans des endroits stratégiques et d’offrir un appui logistique (puisqu’ils sont incapables de le faire eux-mêmes) ». Plus tard dans la même journée, en présence du directeur général de l'Agence du renseignement, le SSS, Shell a une nouvelle fois réitéré sa « demande de renfort des effectifs de la police et de l’armée ». Les procès-verbaux de ces réunions montrent que Shell faisait activement pression sur le gouvernement et les forces de sécurité pour obtenir leur soutien – et proposait en retour une aide « logistique ». À en juger par les notes prises par le géant pétrolier lors de ces réunions, les dirigeants de Shell n'ont fait part d’aucune préoccupation aux autorités gouvernementales au sujet des manifestants non armés en pays ogoni sur lesquels l'unité de l'armée qui gardait le gazoduc venait de tirer. Au début de l'année suivante, les autorités militaires mettaient en place l'ISTF. Le 3 mars 1994, le lieutenant-colonel Okuntimo, commandant de l’ISTF, ainsi que 25 éléments de sa troupe percevaient des « honoraires » de la part du géant pétrolier en guise de « remerciement et de motivation pour les dispositions durables prises à l'égard de [Shell] en faveur de ses futures opérations ». Selon Shell, ces honoraires portaient sur une opération menée à Korokoro à la fin de 1993, au cours de laquelle des soldats avaient tiré sur une personne à la suite d'un affrontement avec des manifestants. Le montant des honoraires s'élevait à 20 000 nairas (soit 909 dollars), au titre des frais de restauration et des « indemnités de service spécial ». Cependant, la note interne suggère que Shell attendait de la force militaire qu’elle mène « d’autres missions » pour le compte de l'entreprise. Shell a approuvé les émoluments versés au lieutenant-colonel Okuntimo quelques jours seulement après qu'il a ouvert le feu sur des manifestants pacifiques devant le siège de l’entreprise à Port Harcourt. Comme indiqué plus haut, les documents publiés par Shell comprennent les comptes rendus des trois audiences accordées à Brian Anderson par le général Sani Abacha durant la crise. Lors de la première réunion tenue le 30 avril 1994, Anderson a indiqué qu'il en était sorti avec le sentiment que Sani Abacha, « ferait intervenir les forces militaires ou la police ». Brian Anderson a affirmé avoir clairement indiqué à Sani Abacha qu'il avait demandé au personnel de Shell de « ne pas impliquer l'un ou l'autre des deux corps dans les récents événements de peur que la situation ne s'envenime et que Shell ne soit accusée d’être la main noire derrière les forces de l'ordre, voire même d'être responsable de la crise ». Toutefois, le compte rendu de la réunion présenté par Brian Anderson ne suggère pas qu'il ait demandé au général Abacha de ne pas recourir à l’intervention militaire qu'il semblait envisager. Il en ressort seulement que Brian Anderson n'avait pas voulu que le personnel de Shell implique l'armée ou la police dans les « événements récents ». Le 5 août 1994, Brian Anderson a obtenu une nouvelle rencontre avec le général Abacha. Bien qu’étant informé que Ken Saro-Wiwa et des dizaines d'autres personnes étaient alors en détention et que de nombreux Ogonis avaient été tués lors de raids de l’ISTF, les notes de Brian Anderson sur la réunion ne font état d’aucun de ces événements. Une semaine après cette réunion, et en dépit du fait que Brian Anderson savait que l'armée menait des opérations violentes et brutales en pays ogoni, le directeur de Shell a sollicité le déploiement de l’armée sur le terrain afin d’assurer la sécurité des installations de l’entreprise à Bomu, en pays ogoni. Dans une note adressée à ses supérieurs à Londres et à La Haye, Brian Anderson a reconnu que cette demande enfreignait dans une certaine mesure [leur] politique de « refus de la protection militaire ». Toutefois, comme l'indiquent clairement les éléments présentés dans ce rapport, la politique de « refus de la protection militaire » prônée par Shell était au mieux incohérente et parfois n’était guère qu’une fiction de relations publiques. L’entreprise a sollicité à maintes reprises l'intervention des forces militaires ou de sécurité en pays ogoni pour assurer la protection de ses équipements et de ses activités économiques alors qu’elle connaissait parfaitement les risques auxquels les communautés seraient confrontées. En outre, tous les éléments rassemblés indiquent que Shell savait pertinemment que les griefs du MOSOP étaient légitimes et que l'environnement dont dépendait presque totalement l’existence du peuple ogoni était de fait dévasté par la pollution pétrolière. Toutefois, Shell n'a jamais proposé de solutions alternatives à ses divers interlocuteurs politiques et militaires pour répondre aux préoccupations du peuple ogoni et du MOSOP. SHELL A FOURNI UN SOUTIEN ET UNE ASSISTANCE MATÉRIELLE AUX FORCES ARMÉES Shell a fourni un soutien logistique et versé des honoraires de façon régulière aux forces de sécurité dans les années 1990. Brian Anderson, ancien président de Shell Nigeria a expliqué qu’il s'agit d'une pratique courante avec l’armée : « En réalité, tout contact opérationnel avec le gouvernement nécessite un appui financier et logistique de la part de Shell. Par exemple, pour que des représentants du ministère des Ressources pétrolières puissent se déplacer pour constater un déversement d'hydrocarbures, nous devons souvent fournir des moyens de transport et d'autres commodités. Il en est de même pour la protection militaire. » (soulignement ajouté) Shell gérait un effectif important des forces de police qui assuraient la sécurité du personnel et des biens de l'entreprise. Les documents montrent que cette force comprenait une équipe d'agents d’infiltration qui recevaient une formation des services de sécurité. D’après un ancien responsable de la sécurité de Shell, cette équipe a conduit des opérations de collecte de renseignements dans le delta du Niger, y compris en pays ogoni. Le responsable a indiqué qu'il partageait au quotidien des informations avec les services de sécurité. Comme indiqué plus haut, Shell a reconnu avoir versé des émoluments au lieutenant-colonel Paul Okountimo et à ses hommes pour avoir effectué une patrouille en pays ogoni en octobre 1993. Le président de Shell Nigeria d’alors, Brian Anderson, a affirmé que ce paiement était la seule occasion où Shell était entré en contact avec Paul Okuntimo. Paul Okuntimo a déclaré deux fois à la presse avoir été en contact avec Shell tout au long de la crise, bien que ces déclarations soient contradictoires. Selon le Sunday Times (de Londres), Paul Okuntimo a reconnu le 17 décembre 1995 devant les journalistes que Shell les avait effectivement payés, lui et ses soldats. Il a déclaré que « Shell a apporté une aide logistique sous la forme d’un appui financier. Pour faire cela, nous avions besoin de ressources et Shell les a fournies. » Au cours d’une interview télévisée en 2012 (accordée par le désormais général à la retraite) Paul Okuntimo a nié avoir reçu le « moindre centime » de la part de Shell. Il a toutefois indiqué que Shell avait secrètement maintenu le contact avec lui, en l’encourageant à intervenir en pays ogoni. « Il y a cet idiot qui venait tout le temps me trouver même lorsque j’étais à la prière à l’église pour me dire qu’il y avait des problèmes en pays ogoni, et ci et ça... » Il existe d’autres preuves de financement occulte effectué par Shell pour le compte de Paul Okuntimo, notamment les dépositions de trois témoins, anciens membres des forces de sécurité nigérianes. Boniface Ejiogu était le subordonné du lieutenant-colonel Okuntimo depuis mai 1994. Boniface Ejiogu a déclaré que Shell avait fourni une aide logistique à l’ISTF. Il a également déclaré avoir aperçu Paul Okuntimo dans un hélicoptère utilisé dans les opérations menées par Shell ainsi que des soldats convoyés par des cars et des bateaux fournis par l’entreprise. Il a indiqué qu’en vue des « opérations de nuit » menées par l’ISTF, Paul Okuntimo sollicitait George Ukpong, alors chef de la sécurité de Shell pour la mise à disposition de pickups de l’entreprise. Il a également déclaré avoir assisté de façon régulière à des livraisons de nourriture effectuées dans le camp de l’ISTF par l’entreprise. Boniface Ejiogu a affirmé avoir remis de l’argent à deux reprises au lieutenant-colonel Okuntimo de la part de George Ukpong. Ces déclarations de Boniface Ejiogu à propos de l’argent reçu par le lieutenant-colonel Okuntimo ont été étayées par Raphael Kponee, policier détaché pour la surveillance des sites de Shell. Eebu Jackson Nwiyon, un ancien membre du MOPOL, a lui aussi révélé avoir été témoin de remises de sommes d’argent aux forces de sécurité ainsi qu’au lieutenant-colonel Okuntimo par le personnel de Shell. COMPLICITÉ DANS L’ERREUR JUDICIAIRE ET L’EXÉCUTION DONT ONT ÉTÉ VICTIMES NEUF MILITANTS OGONIS Le point culminant dans la campagne de répression menée par le gouvernement nigérian contre les manifestants du MOSOP a été l’exécution de neuf militants ogonis le 10 novembre 1995. Shell a encouragé et incité en toute connaissance de cause l’armée à mettre fin aux manifestations du MOSOP, en dépit des violations répétées des droits humains en pays ogoni qui ont visé principalement Ken Saro-Wiwa et le MOSOP. En désignant Ken Saro-Wiwa et le MOSOP comme étant le problème, Shell a fait preuve d’irresponsabilité et a fortement exposé Ken Saro-Wiwa ainsi que tous ceux qui entretenaient des liens avec le MOSOP. Après les arrestations et au cours du procès inique, la nature du danger est apparue clairement. Toutefois, Shell continué de discuter avec le gouvernement sur les moyens d’en finir avec le « problème ogoni » et ce, malgré l’emprisonnement et les tortures dont les opposants étaient victimes et sans manifester la moindre préoccupation pour le sort des prisonniers. Une telle attitude ne pouvait qu’encourager et favoriser les actions menées par l’armée gouvernementale. Plus tard, Shell a soutenu qu’elle agissait en coulisses pour obtenir la libération de Ken Saro-Wiwa et de ses codétenus, toutefois Amnistie internationale n’a pas retrouvé la moindre preuve de telles tractations dans les nombreux documents internes de Shell pour la période concernée. Selon un message envoyé en guise de réponse vers l’Europe par Brian Anderson, un mois après les exécutions, le président Sani Abacha a adressé ses compliments à Shell pour la position adoptée, tout en faisant référence au projet d’usine d’exploitation de gaz naturel d’une valeur de 4 milliards de dollars dont Shell avait annoncé peu de temps auparavant qu’il allait se poursuivre. « Le Chef [d’État Abacha] a exprimé à S[honekan, ancien cadre de Shell et ancien chef d’état] sa joie de voir que Shell était restée ferme malgré la pression, et lui a demandé de me transmettre ses remerciements. (...) Il s’est réjoui particulièrement du projet NLNG. » LA RESPONSABILITÉ DE LA MAISON-MÈRE DE SHELL AU ROYAUME-UNI ET AUX PAYS-BAS Des documents internes de l’entreprise montrent que la responsabilité des activités de Shell pendant la crise ogoni n’était pas limitée au personnel basé dans le pays. Ces documents fournissent un aperçu unique du fonctionnement interne d’une des plus grandes multinationales en temps de crise. Ils montrent qu’au moins à partir de la nomination du Britannique Brian Anderson au poste de directeur des opérations au Nigeria au début de l’année 1994, les décisions stratégiques clés n’étaient pas prises à Lagos ni à Port Harcourt où la filiale nigériane de Shell, Shell Petroleum Development Company, était basée, mais plutôt aux sièges de Royal Dutch/Shell à Londres et à La Haye. Ces documents comprennent de nombreux fax, lettres et courriers électroniques échangés entre les différents bureaux, y compris le « Nigeria Updates » que Brian Anderson envoyait régulièrement à ses supérieurs pour les tenir informés de la situation. Ces mises à jour portaient sur les derniers développements des activités de Shell au Nigeria, le compte rendu détaillé des réunions importantes auxquelles Brian Anderson prenait part ainsi que le point sur la situation politique, économique et sécuritaire du pays. Ces documents prouvent que les directions de Shell basées à La Haye et à Londres étaient, en tout temps, au fait de ce qui se passait au Nigeria et des actes du personnel de Shell Nigeria. De même, ces documents montrent clairement que le personnel à La Haye et à Londres ne se contentait pas de recevoir ces informations. Des ordres ont manifestement été donnés. Durant toute la période au cours de laquelle les évènements décrits dans ce rapport ont eu lieu, Shell Nigeria travaillait sous la supervision de Royal Ducth/Shell. L’organe à la tête de Royal Ducth/Shell était le Comité des Directeurs Généraux (CMD). La prise des décisions stratégiques et financières majeures relatives aux activités de Shell Nigeria était du ressort du CMD. Les documents montrent par exemple que Shell Nigeria a soumis son plan d’affaires annuel au CMD pour approbation et que c’est ce dernier qui a pris les décisions clés concernant l’investissement. Les documents révèlent également l’implication de la maison-mère dans la crise du pays ogoni. Par exemple, une note porte sur l’approbation par le CMD d’une stratégie détaillée élaborée par Shell Nigeria en décembre 1994 sur la façon dont l’entreprise devait répondre aux critiques au lendemain des manifestations en pays ogoni. Ce document indique également que le personnel présent au Nigeria devait mener ses actions de communication publiques en coordination avec celui basé en Europe. CONCLUSION Il est indéniable que le gouvernement nigérian est responsable de graves violations des droits humains commises durant sa campagne de répression des manifestations ogonis largement pacifiques menées au cours des années 1990. Ces violations des droits humains ont été perpétrées en réaction à un mouvement de protestation de la population, et nombre d’entre elles ont été commises au cours d’attaques armées menées contre des villages ogonis sans défense. La plupart des violations du droit international relatif aux droits humains mentionnées dans le présent rapport s’apparentent à des crimes, pouvant inclure des meurtres ou d’autres homicides illégaux, des cas de torture, plusieurs cas d’agression physique, de viols et de destruction de biens. Le présent rapport examine le rôle de l’entreprise pétrolière dans les violations et crimes perpétrés par les forces de sécurité nigérianes. Il s’intéresse de façon spécifique à l’éventuelle responsabilité pénale de Shell et/ou de ses cadres. Une personne (y compris, selon certaines juridictions, une « personne morale », telle qu’une entreprise) peut être reconnue coupable d’acte criminel soit pour des actions directes, soit pour des actions indirectes (c.-à-d. soit en tant qu’auteur principal soit en tant que complice). La question de savoir si une entreprise ou ses représentants individuels doivent être poursuivis pour leur implication dans la commission d’actes criminels va dépendre de la nature du crime et du cadre juridique d’une juridiction donnée. Une gamme de concepts juridiques peut s’appliquer : de la complicité à l’aide, en passant par l’assistance et d’autres participations à des actes criminels. Dans le dispositif du droit pénal, de nombreuses actions peuvent être initiées en vue de situer la responsabilité pénale. Par exemple, la responsabilité pénale peut être évoquée lorsqu’un individu ou une entreprise encourage, permet, accentue ou facilite la commission d’un acte criminel. La connaissance des risques que les agissements d’une entreprise pourraient contribuer à la commission d’un crime ou la non prise en compte délibérée d’un tel risque ou encore le fait d’entretenir un lien étroit avec la situation ou les acteurs impliqués peuvent également déboucher sur des allégations selon lesquelles l’entreprise a participé à des activités criminelles. Après avoir minutieusement examiné l’ensemble des éléments disponibles, Amnistie internationale estime que Shell et certains de ses cadres devraient faire l’objet d’une enquête, en vue de poursuites judiciaires, concernant leur implication dans les crimes perpétrés en pays ogoni au cours des années 1990. Shell a à plusieurs reprises sollicité l’armée et la police nigérianes pour une intervention en vue d’en finir avec les manifestations de protestation de la population, alors même qu’elle savait qu’une telle intervention risquait de déboucher sur des pertes en vies humaines. Même lorsque ces risques se sont concrétisés et que des centaines de femmes, d’hommes et d’enfants ogonis ont été tués ou agressés, Shell a de nouveau fait appel à l’armée. Même s’il n’existe pas d’élément prouvant que Shell a expressément demandé à l’armée ou à la police de tuer ou attaquer des personnes, l’entreprise leur a demandé d’intervenir alors qu’elle savait que des exécutions extrajudiciaires et des agressions pouvaient être commises. Shell a plusieurs fois fourni une aide logistique – en particulier du transport – à l’armée et à la police. Il est probable que sans cette aide logistique dont l’armée et la police ont bénéficié, les actes de violence qui ont suivi dans les zones où les manifestations ont eu lieu n’auraient pas été commis. Shell pourrait être pardonnée pour avoir commis cette erreur une seule fois, mais en fournissant de façon répétée cette aide logistique à l’armée, lui permettant ainsi d’avoir accès aux zones de tensions communautaires, revient à avoir permis ou faciliter les violations des droits humains et les crimes qui ont été commis. Une fois de plus, le niveau d’information de Shell sur les actions susceptibles d’être menées par les forces armées est ici fondamental. Enfin, les relations que Shell entretenait à l’époque avec les autorités nigérianes suscitent des interrogations quant à sa complicité ou son implication dans les violations et les crimes commis. L’entreprise avait un accès significatif à des informations capitales et, à certains moments, elle était en contact quotidien avec certains membres des forces de sécurité. De la centaine de documents internes examinés, aucun n’a révélé la moindre intention de Shell d’exprimer sa préoccupation face aux violences perpétrées en pays ogoni. Shell a toujours nié toute implication dans les violations des droits humains et les crimes perpétrés par l’État nigérian et les forces armées. RECOMMANDATION Le gouvernement du Nigeria et ceux des pays d’origine de Shell, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, devraient diligenter une enquête, en vue d’engager des poursuites judiciaires, sur Shell et/ou les personnes qui occupaient alors des postes de décision ou de contrôle au sein de l’entreprise, afin de déterminer leur éventuelle implication dans des crimes liés aux violations de droits humains qui ont été commises par les forces de sécurité nigérianes en pays ogoni au cours des années 1990. Le Nigérian Suliamon Olufemi risque toujours d’être exécuté en Arabie saoudite. Le 19 avril, 11 de ses coaccusés ont été libérés de prison et expulsés vers le Nigeria, après avoir purgé leur peine de 15 ans de réclusion. Suliamon Olufemi a été condamné à mort en 2005 à l’issue d’un procès inique et a épuisé toutes ses voies de recours.
Le 17 mai 2005, Suliamon Olufemi (39 ans) a été condamné à la peine capitale à l’issue d’un procès à huis clos concernant le meurtre d’un policier, tué à Djedda en 2002. Onze autres Nigérians se sont vu infliger, dans la même affaire, une peine de 15 ans de réclusion, assortie de 1 000 coups de verges. Le 19 avril 2017, 11 des coaccusés de Suliamon Olufemi ont été libérés de la prison de Dhaban, dans la banlieue de Djedda, après avoir purgé l’intégralité de leur peine, flagellation comprise. Dix d’entre eux ont été expulsés vers le Nigeria le 27 avril et le onzième, environ un mois plus tard. Suliamon Olufemi et ses coaccusés se sont trouvés parmi les centaines de ressortissants somaliens, ghanéens et nigérians qui ont été arrêtés par vagues en septembre 2002, à la suite d’un conflit qui s’était soldé par la mort d’un policier saoudien. Pendant sa détention provisoire et tout au long de son procès, Suliamon Olufemi n’a pas pu consulter d’avocat, bénéficier d’une assistance consulaire ni avoir accès à des services de traduction ou d’interprétation adéquats. Suliamon Olufemi et certains des autres hommes arrêtés avec lui ont affirmé avoir subi des actes de torture et d’autres mauvais traitements pendant leur interrogatoire et avoir été forcés à apposer l’empreinte de leur pouce pour signer une déclaration en arabe, langue qu’ils ne savent pas lire. Ils ont ajouté qu’un juge du tribunal de première instance avait qualifié ce document d’« aveux ». Selon la Commission saoudienne des droits humains, la peine de mort prononcée contre Suliamon Olufemi a été confirmée par la Cour de cassation et le Conseil judiciaire suprême, ce qui signifie qu’il ne peut plus interjeter appel. Cet homme se trouve actuellement à la prison de Dhaban, dans la banlieue de Djedda, et a épuisé toutes ses voies de recours. Il continue de clamer son innocence. DANS LES APPELS QUE VOUS FEREZ PARVENIR LE PLUS VITE POSSIBLE AUX DESTINATAIRES MENTIONNÉS CI-APRÈS, en anglais, en arabe ou dans votre propre langue : - exhortez les autorités saoudiennes à annuler la déclaration de culpabilité de Suliamon Olufemi et à ordonner un nouveau procès lors duquel la peine de mort ne pourra être requise, conformément aux normes internationales d’équité des procès ; - engagez-les à diligenter une enquête indépendante sur ses allégations de torture et d’autres mauvais traitements ; - demandez-leur de permettre à cet homme de consulter régulièrement l’avocat de son choix. VEUILLEZ ENVOYER VOS APPELS AVANT LE 14 AOÛT 2017 À : Roi d’Arabie saoudite et Premier ministre His Majesty Salman bin Abdul Aziz Al Saud The Custodian of the two Holy Mosques Office of His Majesty the King Royal Court, Riyadh Arabie saoudite Télécopieur : (via le ministère de l’Intérieur) +966 11 403 3125 (merci de vous montrer persévérant-e) Twitter : @KingSalman Formule d’appel : Your Majesty, / Sire, (Votre Majesté, dans le corps du texte) Ministre des Affaires étrangères His Excellency Adel bin Ahmed Al-Jubeir Ministry of Foreign Affairs Postal Code: 55937 Riyadh 11544 Arabie saoudite Télécopieur : +966 11 412 2080 Twitter : @KSAMOFA Formule d’appel : Your Excellency, / Monsieur le Ministre, Copies à : Ministre des Affaires étrangères du Nigeria His Excellency Geoffrey Onyeama Honourable Minister of Foreign Affairs Ministry of Foreign Affairs Tafawa Balewa House Off Ahmadu Bello Way Abuja, Nigeria Courriel : Twitter : @GeoffreyOnyeama Formule d’appel : Your Excellency, / Monsieur le Ministre, Veuillez également adresser des copies aux représentants diplomatiques de l’Arabie saoudite dans votre pays. Ambassadeur d'Arabie Saoudite au Canada Naif Bin Bandir Alsudairy Ambassade d'Arabie Saoudite au Canada 201 Sussex Drive Ottawa, ON K1N 1K6 Télécopieur : (613) 237-0567 Courriel : Vérifiez auprès de votre section s’il faut encore intervenir après la date indiquée ci-dessus. Merci. COMPLÉMENT D’INFORMATION Selon les informations reçues par Amnistie internationale, le 28 septembre 2002, un groupe de plusieurs hommes, dont un policier, est arrivé dans un quartier de Djedda où de nombreux Africains travaillaient comme laveurs de voiture. Une dispute a éclaté entre les Saoudiens et les travailleurs étrangers, provoquant la mort du policier. Tôt le lendemain matin, les forces de sécurité de la ville ont interpellé de nombreux étrangers. Des centaines d’Africains ont été arrêtés puis expulsés, certains après avoir purgé des peines d’emprisonnement et subi la flagellation. Cependant, Amnistie internationale croit savoir que Suliamon Olufemi et 12 autres Nigérians ont été détenus au secret jusqu’en mai 2005 ; ils ont alors été autorisés pour la première fois à recevoir une visite de leur représentant consulaire. Leur procès se serait ouvert en mars 2004. Le 17 mai 2005, Suliamon Olufemi a été condamné à mort et ses 12 coaccusés se sont vu infliger des peines d’emprisonnement et de flagellation. En 2008, la cour d’appel a alourdie leur peine initiale de cinq ans d’emprisonnement et 500 coups de verges, qui est passée à 15 ans de réclusion et 1 000 coups. En septembre 2008, l’un des hommes condamnés, Nurudeen Sani, est mort en détention. Ses codétenus ont déclaré qu’il n’avait pas bénéficié de soins médicaux suffisants au vu des affections dont il souffrait. Le 19 avril, les 11 coaccusés de Suliamon Olufemi ont été emmenés de la prison de Dhaban au camp pour personnes en instance d’expulsion de Djedda. Ils y ont été maintenus jusqu’au 27 avril, date à laquelle 10 d’entre eux ont été expulsés par avion vers le Nigeria. Le dernier se trouvait toujours au camp. Selon la charia, lorsqu’un crime est puni en vertu du principe de qisas (« réparation »), comme dans l’affaire de Suliamon Olufemi, les proches de la victime ont le droit de décider si l’auteur de l’homicide doit être exécuté ou gracié, auquel cas la condamnation à mort est annulée, parfois en échange d’une indemnisation appelée diya (« argent du sang »). La grâce accordée par les proches doit être certifiée par les tribunaux. Toutefois, cela ne signifie pas automatiquement que la personne déclarée coupable échappera à l’exécution étant donné que les juges peuvent invoquer les hadd (infractions et châtiments prévus par la loi divine) et estimer que l’homicide commis a troublé l’ordre public, outre le fait d’avoir porté atteinte à la victime et à sa famille. L’Arabie saoudite est un des pays procédant le plus à des exécutions. Plus de 2 400 personnes y ont été mises à mort entre 1985 et 2016. Depuis le début de l’année, au moins 40 personnes y ont été exécutées. La peine capitale est employée de manière disproportionnée à l’encontre des étrangers, en particulier des travailleurs migrants originaires de pays pauvres et en développement d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Sur les 2 418 exécutions enregistrées entre janvier 1985 et décembre 2016, au moins 1 137, soit environ 47 %, concernaient des étrangers. Les autorités manquent fréquemment d’observer les normes internationales en matière d’équité des procès, ainsi que les Garanties des Nations unies pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort. Bien souvent, les affaires où l’accusé encourt la peine capitale sont iniques et sommaires, et l’intéressé ne bénéficie pas d’une assistance juridique au cours des différentes phases de sa détention et de son procès. Il peut être déclaré coupable sur la base de simples « aveux » obtenus sous la torture ou au moyen d’autres formes de mauvais traitements. Il est fréquent que les autorités saoudiennes ne communiquent pas la date d’exécution à la famille du détenu ni, dans le cas des étrangers, au consulat. Elles ne les informent pas non plus directement une fois que l’exécution a eu lieu. Dans beaucoup de cas, les détenus ne sont informés de leur exécution que la veille, et plus exactement, au moment où on les conduit dans une cellule individuelle en préparation de l’exécution. Parfois, notamment lorsqu’il s’agit d’étrangers, la famille et le consulat apprennent la nouvelle de l’exécution par les médias ou des annonces publiques. La peine de mort est un châtiment cruel, inhumain et dégradant. Amnistie internationale y est opposée en toutes circonstances, indépendamment des questions relatives à la culpabilité ou à l’innocence et quels que soient l’accusé, le crime commis et la méthode d’exécution. ![]() Le géant pétrolier Shell est accusé de complicité dans l’arrestation, la détention et l’exécution illégales de neuf hommes, pendus par le régime militaire nigérian dans les années 1990, est en mesure de révéler Amnistie internationale ce jeudi 29 juin 2017, la multinationale se retrouvant, aux Pays-Bas, au cœur d’une nouvelle affaire explosive concernant quatre de ces exécutions. Esther Kiobel, veuve de Barinem Kiobel, et trois autres femmes se sont portées parties civiles. Cela fait 20 ans qu’Esther Kiobel livre bataille contre Shell au sujet de la mort de son mari. Celui-ci a été pendu en 1995, aux côtés de l’écrivain et défenseur des droits humains Ken Saro-Wiwa et de sept autres hommes ; ils ont été surnommés les « neuf Ogonis ». À l’époque, ces exécutions ont déclenché un tollé au sein de la communauté internationale. Esther Kiobel accuse Shell de complicité dans l’arrestation et la détention illégales de son mari et de violation de l’intégrité physique, du droit à un procès équitable et du droit à la vie de cet homme, ainsi que de son propre droit à une vie de famille. Amnistie internationale a aidé l’équipe juridique d’Esther à porter l’affaire devant la justice néerlandaise et a publié un nouveau document de synthèse (en anglais) intitulé In The Dock, qui décrit en détail le rôle de Shell dans les exécutions. « Les exécutions des neuf Ogonis ont choqué le monde entier. Shell a fui ses responsabilités dans cette affaire pendant plus de 20 ans mais désormais, grâce à la détermination et au courage d’Esther Kiobel face à ce géant, l’entreprise est enfin rattrapée par son passé, a déclaré Audrey Gaughran, directrice générale chargée des recherches à Amnistie internationale. « Cette journée marque un tournant dans le dur combat d’Esther Kiobel pour la justice. Shell a marqué tout le pays ogoni d’une empreinte sanglante et doit répondre de ses actes. » Une campagne brutale Les exécutions ont été le point culminant d’une campagne brutale menée par l’armée nigériane en vue d’étouffer les protestations du Mouvement pour la survie du peuple ogoni (MOSOP), dirigé par Ken Saro-Wiwa. Le MOSOP affirmait que des tiers s’étaient enrichis grâce au pétrole extrait sur les terres des Ogonis et que la pollution due aux déversements et aux torchères avait provoqué une dégradation complète de l’environnement, à l’origine d’une catastrophe écologique. En janvier 1993, il a déclaré que l’entreprise Shell n’était plus la bienvenue en pays ogoni. Les autorités militaires ont réagi avec force aux actions du MOSOP et ont commis, dans ce contexte, beaucoup de graves violations des droits humains, notamment des homicides, des actes de torture et des viols. La préoccupation principale de Shell et de l’État nigérian, qui exploitaient les puits du delta du Niger dans le cadre d’un partenariat, était de faire cesser les manifestations. Au moment des exécutions, Shell était de loin la plus grande entreprise implantée au Nigeria. Elle extrayait près d’un million de barils de pétrole brut par jour, soit environ la moitié de la production nationale. Les exportations d’hydrocarbures représentaient jusqu’à 96 % des recettes de source étrangère enregistrées par le pays. « Shell a encouragé l’État à stopper Ken Saro-Wiwa et le MOSOP, sachant qu’ils seraient, de ce fait, très probablement victimes de violations des droits humains. L’entreprise disposait de nombreux éléments indiquant que l’armée nigériane réprimait avec violence les manifestations organisées en pays ogoni », a déclaré Audrey Gaughran. Quelques semaines seulement avant les arrestations, le président de Shell Nigeria avait rencontré le président de l’époque, le général Sani Abacha, et soulevé ce qu’il appelait le « problème des Ogonis et de Ken Saro-Wiwa ». Ce n’était pas la première fois que l’entreprise exhortait l’armée et les forces de sécurité à endiguer les manifestations des Ogonis, qu’il considérait comme un problème. En outre, elle n’a cessé de rappeler aux autorités les répercussions économiques des rassemblements du MOSOP. « Shell a fait preuve d’irresponsabilité en soutenant que Ken Saro-Wiwa et le MOSOP constituaient un problème car cela n’a fait qu’accroître les risques encourus par cet homme et les autres personnes liées au mouvement. L’entreprise savait pertinemment que l’État bafouait régulièrement les droits de ces personnes et qu’il avait pris pour cible Ken Saro-Wiwa. « Même lorsque les [neuf Ogonis] ont été emprisonnés, soumis à des mauvais traitements et à un procès inique, et confrontés à la perspective d’une exécution, Shell a continué à discuter de la résolution du “problème ogoni” avec les autorités plutôt que de faire part de ses inquiétudes quant au sort des détenus. Une telle conduite ne peut être perçue que comme une approbation et un encouragement à l’égard des agissements du régime militaire. » Une injustice lourde de conséquences Esther Kiobel, Victoria Bera, Blessing Eawo et Charity Levula, dont les maris ont tous été exécutés dans le cadre de la même affaire, intentent un procès au civil. Elles réclament des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les actes illégaux de Shell et des excuses publiques au sujet du rôle de l’entreprise dans les événements ayant conduit à la mort de leurs maris. En mai 1994, quatre chefs ogonis connus pour être des opposants au MOSOP ont été tués. Sans produire aucun élément, les autorités ont imputé ces homicides au MOSOP et arrêté des dizaines de personnes, dont Ken Saro-Wiwa et Barinem Kiobel. Ce dernier n’était pas membre du MOSOP mais occupait un poste de haut fonctionnaire et critiquait les agissements de l’armée en pays ogoni. Il a affirmé avoir tenté d’empêcher les meurtres – une version des faits étayée par les éléments présentés au procès. Amnistie internationale considérait Ken Saro-Wiwa et Barinem Kiobel comme des prisonniers d’opinion, détenus puis tués en raison de leurs opinions pourtant pacifiques. Après les arrestations, au moins deux témoins de l’accusation ont affirmé d’eux-mêmes que l’État les avait soudoyés pour incriminer les accusés, leur proposant notamment des emplois chez Shell, en présence de l’avocat de l’entreprise. La compagnie pétrolière a toujours nié ces allégations. Nombre des hommes ogonis arrêtés en raison de leur implication présumée dans le meurtre des quatre chefs ont été régulièrement victimes d’actes de torture et d’autres mauvais traitements en détention. Même après le début du procès, l’officier responsable de l’incarcération n’a autorisé les accusés à consulter leurs avocats qu’avec son accord préalable et généralement en sa présence. Des proches ont affirmé avoir été agressés par des militaires au moment des visites. Ainsi, Esther Kiobel a déclaré qu’elle avait été agressée par un officier à l’une de ces occasions et avait passé deux semaines en détention, privée d’eau et de nourriture. Les 30 et 31 octobre 1995, les neuf Ogonis ont été déclarés coupables et condamnés à mort. À l’époque, Amnistie internationale et d’autres organisations ont émis de sérieux doutes quant au procès, qu’elles estimaient biaisé et sous-tendu par des considérations politiques. Selon un avocat pénaliste britannique, présent en tant qu’observateur, le tribunal avait déjà pris sa décision avant même de chercher des arguments,ne reculant devant rien pour se justifier a posteriori. En outre, les éléments factuels corroboraient les allégations selon lesquelles Barinem Kiobel avait tenté de stopper les violences. Le 10 novembre, les condamnés ont été pendus et leurs corps, jetés dans une fosse commune. « Esther Kiobel vit avec cette injustice depuis plus de 20 ans mais elle refuse de laisser Shell la réduire au silence. Aujourd’hui, elle fait entendre sa voix pour toutes les personnes dont la vie a été détruite par l’industrie pétrolière au Nigeria, a déclaré Channa Samkalden, son avocate. « L’enjeu est on ne peut plus important : il s’agit de mettre un terme aux décennies d’impunité de Shell, dont le nom évoque la puissance des grands groupes, qui peuvent fouler aux pieds les droits humains sans craindre de sanction. » Une relation dangereuse Selon des documents internes de Shell qu’Amnistie internationale a pu se procurer, l’entreprise savait que le procès des neuf Ogonis était inique et avait été informée à l’avance que Ken Saro-Wiwa serait très probablement déclaré coupable. Malgré cela, elle a maintenu des liens étroits avec l’État nigérian et a même proposé d’aider l’écrivain s’il revoyait sa position à son égard. Shell a contacté le frère de Ken Saro-Wiwa en août 1995, pendant que ce dernier était détenu par l’armée. Selon lui, la compagnie pétrolière a proposé de faciliter la libération de son frère mais elle affirme, quant à elle, n’avoir offert qu’une aide humanitaire ou médicale. « La version de Shell suggère que l’entreprise pensait que Ken Saro-Wiwa – arrêté, battu, contraint à répondre de charges controuvées et soumis à un procès inique organisé en vue de sa condamnation à mort – serait disposé à coopérer en échange d’un peu d’aide humanitaire, a déclaré Audrey Gaughran. « Elle est franchement improbable. Si toutefois elle est véridique, elle révèle que Shell défendait ses intérêts à un point qui dépasse l’entendement. » Ken Saro-Wiwa a rejeté la proposition. Après la mort de son mari, Esther Kiobel, craignant pour sa vie, s’est réfugiée au Bénin et, en 1998, elle a obtenu l’asile aux États-Unis, où elle réside toujours. « Les liaisons dangereuses entre Shell et l’État nigérian n’ont jamais fait l’objet d’une enquête digne de ce nom. Plusieurs décennies après les terribles événements qui ont conduit à la pendaison des neuf Ogonis, des questions importantes concernant Shell demeurent sans réponse, a déclaré Audrey Gaughran. « Il est temps de faire la lumière sur ces zones d’ombre. Rien ne ramènera ceux qui ont perdu la vie mais il reste la possibilité de transmettre un message, à savoir qu’aucune entreprise, aussi grande et puissante soit-elle, ne peut échapper définitivement à la justice. » Amnistie internationale a fait part des allégations susmentionnées à Shell. Le siège mondial n’a pas répondu sur le fond et Shell Nigeria a déclaré : « Les allégations contre [Shell] qui sont citées dans votre lettre sont fausses et sans fondement.[L’entreprise Shell Nigeria] ne s’est pas entendue avec les autorités militaires pour réprimer des troubles communautaires et n’a aucunement encouragé ni prôné un quelconque acte de violence au Nigeria [...]. Nous avons toujours nié ces allégations avec la plus grande fermeté. » Complément d’information Esther Kiobel a intenté un premier procès à Shell en 2002 à New York mais, en 2013, la Cour suprême a statué que les États-Unis n’étaient pas compétents en l’espèce, sans examiner l’affaire sur le fond. Dans les années 1990, Shell Nigeria était une filiale appartenant en propre à Royal Dutch/Shell (les deux entreprises ont fusionné par la suite) et dirigée par un conseil d’administration basé en Europe. Pour en savoir plus :
![]() Les autorités nigérianes doivent immédiatement renoncer à exécuter des condamnés à mort à la prison de Kirikiri à Lagos, a déclaré Amnistie internationale le 21 avril 2017, alors que selon des informations émanant de détenus, la potence de la prison a été préparée et un prisonnier a été isolé en prévision de son exécution. En outre, le procureur général de l’État de Lagos a déclaré lors d’une conférence de presse le 18 avril que le gouvernement de l’État allait bientôt signer les documents relatifs aux exécutions. « Les indications selon lesquelles les autorités de la prison de Kirikiri s’apprêteraient à procéder à une série d’exécutions sont très inquiétantes. La peine de mort est un châtiment obsolète et cruel qui bafoue le droit à la vie, a déclaré Damian Ugwu, chercheur sur le Nigeria à Amnistie internationale. « Par ailleurs, nous sommes très préoccupés au sujet de l’équité des procès qui ont débouché sur la condamnation des prisonniers se trouvant dans le quartier des condamnés à mort. Surchargée et en proie à une pénurie de moyens, la police nigériane préfère bien souvent obtenir des " aveux " contraints des suspects, plutôt que de mener une enquête. Dans certains cas, les condamnations à mort sont prononcées sur la base de déclarations signées sous la torture. « Les autorités nigérianes doivent stopper ces exécutions immédiatement et instaurer sans délai un moratoire officiel sur les exécutions en vue d’abolir la peine de mort. » En 2016, le Nigeria a prononcé 527 condamnations à mort – trois fois plus qu’en 2015. Il s’agit du nombre le plus élevé recensé dans le monde, à l’exception de la Chine. L’État de Lagos a prononcé le plus grand nombre de condamnations à mort en 2016 (68), suivi de près par l’État de Rivers (61), selon les chiffres officiels fournis par l’administration pénitentiaire du Nigeria. Le 23 décembre 2016, trois condamnés à mort ont été exécutés à la prison de Benin, dans l’État d’Edo. Leur exécution a eu lieu en dépit du fait que l’un d’entre eux, Apostle Igene, a été condamné à mort en 1997 par un tribunal militaire et n’a jamais bénéficié du droit de faire appel. Amnistie internationale demande au gouvernement nigérian de commuer toutes les condamnations à mort en peines d’emprisonnement et d’instaurer sans délai un moratoire sur les exécutions, en vue d’abolir la peine capitale. Depuis des années, le gouvernement fédéral affirme qu’il a mis en place un « moratoire » volontaire ou auto-imposé, mais des exécutions se déroulent malgré tout, dont celles de décembre 2016. Aussi est-il plus que nécessaire d’instaurer officiellement un moratoire. |
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