![]() Le 11 décembre 1977, Amnistie internationale et les participants à la Conférence internationale sur l'abolition de la peine de mort ont adopté la Déclaration de Stockholm – le premier manifeste international abolitionniste − qui appelle tous les gouvernements à abolir immédiatement et totalement la peine de mort. À l'époque, seuls 16 pays avaient aboli la peine capitale. Quarante ans plus tard, ils sont 105 à l'avoir fait. N'attendons pas encore 40 ans pour que ce châtiment disparaisse complètement de la surface du globe. Europe et Asie centrale : bientôt sur la ligne d’arrivée Sur les 105 pays qui ont intégralement aboli la peine capitale, près de la moitié se trouvent en Europe et en Asie centrale. Si certains pays de la région avaient déjà arrêté les exécutions et aboli la peine capitale au moment de la création des Nations unies en 1945, ce n’est qu’à la fin des années 1970 que le mouvement vers une abolition intégrale en Europe occidentale s’est accéléré. Le premier pays à abolir la peine de mort en Europe de l’Est a été l’ex-République démocratique allemande (Allemagne de l’Est) en 1987, ouvrant la voie à d’autres pays de l’ancienne Union soviétique, qui ont commencé à faire de même à partir de la décennie suivante. Cette dynamique en faveur de l’abolition a reposé d’une part sur un consensus de plus en plus grand autour de l’idée que la peine de mort constitue une atteinte aux droits humains, conduisant aussi de nombreux pays de la région à inscrire l’abolition dans leur constitution. Mais elle s’est aussi appuyée sur le rôle que certains organes régionaux, tels que le Conseil de l'Europe, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et l’Union européenne ont joué en faisant de l’abolition de ce châtiment l’un de leurs principes fondamentaux. Aujourd’hui, la peine de mort est en passe d’être éradiquée en Europe et en Asie centrale. Le Kazakhstan, la Russie et le Tadjikistan ont conservé la peine de mort dans leur législation mais continuent d'observer leurs moratoires officiels sur les exécutions. Le Kazakhstan, qui a aboli la peine de mort pour les crimes ordinaires tels que les meurtres, est le seul de ces trois pays à avoir prononcé une condamnation à mort ces dernières années. Le Bélarus reste le dernier pays de la région à procéder à des exécutions et conserve la peine de mort en cas de meurtre. Les exécutions, au moyen d’une balle tirée derrière la tête, font suite à des procès qui souvent ne respectent pas les normes internationales en matière d’équité et qui se déroulent à huis clos. L’une des caractéristiques les plus effrayantes de l’application de la peine de mort au Bélarus est le secret dans lequel elle baigne. Nous n’apprenons qu’il y a eu une exécution qu’après la visite à la prison de membres de la famille, pensant voir leur proche : la famille s’entend dire que le prisonnier a été « déplacé » ou « exécuté ». Ce traitement cruel envers les membres de la famille se poursuit bien après l’exécution. Les corps des prisonniers exécutés ne sont pas rendus à la famille et le lieu de sépulture n’est pas révélé. Face à ce contexte cruel, des organisations, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, exhortent le président du Bélarus à instaurer sans délai un moratoire sur les exécutions, qui constituerait un premier pas important vers l’abolition. Ailleurs dans la région, certaines voix se font parfois entendre pour la réintroduction de la peine de mort, en particulier lorsque des attentats meurtriers accroissent le sentiment d’insécurité. On ne constate cependant pas d’opposition sérieuse à l’abolition. Le Bélarus est le prochain objectif. Aidez-nous à faire en sorte que l’Europe et l’Asie centrale soient des régions où plus personne n’est exécuté. Andrei Paluda est coordonnateur de la campagne Les défenseur-e-s des droits humains contre la peine de mort au Bélarus au Centre des droits humains Viasna, une ONG basée dans la capitale, Minsk. Andrei, parlez-nous de la campagne nationale contre la peine de mort au Bélarus. Quand la campagne a-t-elle démarré ? Quels sont ses principaux objectifs et quels obstacles rencontrez-vous ? La campagne Les défenseur-e-s des droits humains contre la peine de mort a été lancée le 26 janvier 2009 par deux groupes bélarussiens, le Centre des droits humains Viasna et le Comité Helsinki du Bélarus. L’objectif de la campagne est d’obtenir la mise en œuvre d’un moratoire sur la peine de mort, à titre de première mesure en vue de son abolition totale, ainsi que d’initier le Bélarus aux valeurs européennes communes. C’est un sujet de grande actualité pour notre pays, le seul d’Europe et de l’ex-Union soviétique à maintenir la peine capitale en droit et en pratique. D’après les données les plus fiables disponibles, mais non confirmées, le Bélarus aurait exécuté pas moins de 400 prisonniers depuis son indépendance. Il est impossible de connaître le chiffre exact car les informations relatives à la peine de mort sont entourées du plus grand secret. Les corps des prisonniers exécutés ne sont pas rendus aux familles et l’heure et le lieu de l’exécution ne sont pas dévoilés, tout comme la date. Les principaux problèmes que nous connaissons aujourd’hui sont liés à la situation générale dans le pays, plus précisément la répression exercée par les autorités à l’encontre des opposants, des journalistes, des défenseur-e-s des droits humains (DDH) et de toute forme de dissidence. Mais il existe aussi des problèmes plus particuliers, comme celui de la politisation de la question de la peine de mort au Bélarus, ou encore le fait que les DDH n’ont pas accès aux grands médias pour s’exprimer et défendre leur cause. Le point de vue personnel du président sur la peine de mort est explicite et sans ambiguïté : il est partisan de ce type de châtiment, arguant notamment que l’opinion publique y est globalement favorable. D’après vous, y a-t-il eu des progrès vers l'abolition de la peine de mort au Bélarus ? Remarquez-vous des changements d’attitude chez les autorités bélarussiennes et/ou dans la population ? Il est difficile de répondre avec certitude à cette question. Par exemple, si on prend l’opinion publique, elle est plutôt inconsistante car la peine de mort est un sujet hautement émotif et dès qu’un crime odieux fait la une, il y a un revirement immédiat de l’opinion publique en faveur de la peine de mort : elle exige un châtiment, des mesures de rétorsion et des représailles. Souvent, cela se passe sans que la situation soit vraiment comprise, que l’enquête soit analysée ou que les atteintes aux droits humains soient prises en considération. Personne ne se demande si la personne accusée a vraiment commis le crime. D’un autre côté, quand des DDH présentent publiquement une évaluation des erreurs judiciaires et révèlent des violations des droits des détenus et des personnes déclarées coupables, assez souvent l’opinion publique change en faveur de l’abolition. L’explosion dans le métro de Minsk en 2011 est un bon exemple de ces revirements. Pour la première fois, selon nos informations et les résultats de sondages d’opinion, la majorité du pays était en faveur de l’abolition de la peine de mort, en raison d’une méfiance vis-à-vis du pouvoir judiciaire et du sentiment que les personnes présentées à la barre n’étaient pas directement impliquées dans l’attentat, ainsi qu’en raison de la rapidité du procès et de l’exécution de la peine. L’attitude des autorités est assez prévisible. Comme je l’ai déjà mentionné, c’est un sujet politisé. En fait, l’abolition est devenue l’objet de tractations politiques. Lorsque les relations entre notre pays et l’Europe s’améliorent, la question de la peine de mort revient vite à l’ordre du jour et devient l’objet de vives discussions et de négociations entre décideurs politiques. Quand les relations se refroidissent, le débat sur la peine de mort s’arrête. D’un autre côté, je peux vous affirmer que la peine de mort et son maintien dans notre pays sont devenus l’un des sujets les plus discutés dans les médias et je pense que c’est grâce à notre campagne, Les défenseur-e-s des droits humains contre la peine de mort au Bélarus. Quand la campagne a démarré, des dizaines de personnes étaient condamnées à mort chaque année dans notre pays. La population ne semblait pas très intéressée et les médias n’en parlaient pas. Maintenant, grâce aux défenseur-e-s des droits humains et aux journalistes qui se préoccupent de cette question, celle-ci est très présente dans les médias, ce qui signifie qu’il y a un débat continu dans la société. Les arguments pour et contre sont étudiés, la société est plus mure et d’avantage préparée à dire un NON catégorique à la peine de mort pour mettre un terme à cette machine meurtrière, au cœur même de l’Europe. Nous savons que Viasna et vous travaillez en étroite collaboration avec les familles des condamnés à mort. D’après votre expérience, quel est l’impact de la peine capitale sur les prisonniers et leurs familles ? Notre campagne Les défenseur-e-s des droits humains contre la peine de mort travaille sur deux domaines distincts. Le premier est la sensibilisation, j’en ai déjà parlé brièvement ci-dessus. Ce travail porte principalement sur la sensibilisation de l’opinion publique grâce à différentes manifestations, notamment des débats publics, des conférences ouvertes à tous, des présentations, des tables rondes, des festivals de musique et des concerts de rock, des publications dans les médias et des expositions. Nous réalisons un grand nombre de supports médiatiques, de documentaires, de films d’animation et de vidéos et nous avons également publié un livre intitulé La peine de mort au Bélarus. Par ailleurs, avec des collègues d’Amnistie internationale et de la FIDH, nous avons mené une recherche et préparé des rapports sur la peine capitale au Bélarus. Un autre domaine tout aussi important est le travail juridique, qui consiste à proposer une aide juridique aux victimes d’atteintes aux droits humains – les personnes condamnées à mort et leurs familles. Le secret qui entoure la peine de mort – notamment les conditions dans le couloir de la mort, la date et le lieu d’exécution, ainsi que le lieu de sépulture – sont en totale contradiction avec la manière dont les médias et les représentants gouvernementaux, en violation de la présomption d’innocence et des normes de procès équitable, révèlent publiquement et en toute liberté des informations liées à l’enquête, montrent les détenus à la télévision et les appellent « criminels » avant même que le tribunal ne prononce son verdict. Tout cela fait qu’il existe une pression très forte du public sur les familles des accusés, en particulier si elles vivent dans de petites villes. À ceci s’ajoute le supplice de ne rien savoir sur la situation de leurs proches, d’être totalement impuissantes face à une justice bélarussienne aveugle et indifférente, mais aucunement indépendante, et d’être complètement isolées des personnes qu’elles aiment, alors même qu’elles savent que leurs jours sont comptés. Même correspondre avec les prisonniers qui attendent dans le couloir de la mort est difficile, voire impossible. Après l’exécution, le corps n’est pas rendu à la famille, qui n’a pas la possibilité de dire au revoir dans le respect des traditions familiales et qui souvent ne connait pas la date du décès de leur proche. Tout cela est vraiment terrible. Il y a eu des cas où des défenseur-e-s des droits humains ont eu connaissance d’exécutions et ont dû informer les mères des prisonniers, devenant ainsi, ironie du sort, messager-ère-s de la mort. Nous travaillons et continuerons à travailler avec les familles des condamnés à mort car elles ont non seulement aucun moyen d’agir juridiquement mais sont en plus assujetties à la pression publique de l’État. Elles sont en quelque sorte mises au ban de la société. L’ABOLITION AU-DELÀ DES FRONTIÈRES En matière de peine de mort, l’Europe a pris une place de premier plan en tant que bastion de l’abolition. Cette place s’explique en grande partie par les progrès accomplis dans la région, où la peine de mort a été presque entièrement éradiquée ces dernières décennies, et par le rôle de l’Europe dans la défense ardente de l’abolition par-delà ses frontières. C’est en 1989 que la Cour européenne des droits de l’homme a conclu pour la première fois que les États européens avaient l’obligation de protéger de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants les personnes passibles de la peine de mort en cas d’extradition vers un autre pays. Depuis, l’interdiction d’extrader des personnes qui pourraient encourir la peine de mort, sauf si des garanties crédibles et fiables sont apportées, a non seulement trouvé écho en-dehors de l’Europe, par exemple en Afrique du Sud, mais aussi au sein de certains organes internationaux tels que le Comité des droits de l'homme des Nations unies. Ceci a incité plusieurs pays non abolitionnistes à ne pas inclure la peine capitale parmi les châtiments possibles dans de nombreux cas où il devait y avoir une extradition en provenance d’un pays abolitionniste. L’opposition de principe de l’Europe à la peine de mort l’a également amenée à refuser de se rendre complice de l’application de ce châtiment ailleurs. Cela a plus récemment conduit l’Union européenne à durcir la réglementation concernant le commerce des outils et substances pouvant être utilisés dans des exécutions – une initiative qu’Amnistie internationale aimerait voir répliquée aussi dans d’autres régions. Les organes et les acteurs européens ont également créé des plateformes pour poursuivre le dialogue en faveur de l’abolition, ont apporté une aide technique et des ressources pour soutenir les initiatives allant dans ce sens et ont partagé les bonnes pratiques pour réduire le recours à la peine de mort dans le monde entier. Avec l’évolution progressive du monde vers l’abolition, la communauté des pays qui ont abandonné ce châtiment s’est aussi agrandie et ses voix se sont diversifiées. Si la communauté abolitionniste s’est ainsi renforcée, le défi reste cependant le même : soutenir les acteurs et faire entendre la voix des abolitionnistes dans la minorité de pays qui ont encore recours à la peine de mort.
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Mars 2023
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