![]() Le 11 décembre 1977, Amnistie internationale et les participants à la Conférence internationale sur l'abolition de la peine de mort ont adopté la Déclaration de Stockholm – le premier manifeste international abolitionniste − qui appelle tous les gouvernements à abolir immédiatement et totalement la peine de mort. À l'époque, seuls 16 pays avaient aboli la peine capitale. Quarante ans plus tard, ils sont 105 à l'avoir fait. N'attendons pas encore 40 ans pour que ce châtiment disparaisse complètement de la surface du globe. MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD Faire campagne contre la peine de mort au Moyen-Orient et en Afrique du Nord peut paraître un dur combat. Au cours des 40 années de campagne d’Amnistie internationale, les avancées à long terme ont été rares et précieuses. Dans les statistiques annuelles d’Amnistie internationale sur la peine de mort dans le monde, la région domine régulièrement les dix premières places. Les médias internationaux relaient parfois de manière spectaculaire certaines exécutions publiques pour sorcellerie ou adultère, ou des exécutions qui divisent l’opinion comme celle de Saddam Hussein en 2006 et, plus récemment, celle du dignitaire chiite Nimr al Nimr en 2016. Le travail de campagne d’Amnistie internationale dans la région porte principalement sur les exécutions de mineurs délinquants ou sur les procès iniques, souvent caractérisés par le recours à la torture. Il peut ainsi sembler difficile d’entrevoir une évolution vers l’abolition. La situation est toutefois plus diversifiée et plus complexe qu’on peut le penser au premier regard. La grande majorité des exécutions ont lieu dans quatre pays – Iran, Arabie saoudite, Irak et Égypte – qui en quelque sorte font figure d’exception dans la région. Le Maroc, la Tunisie et l’Algérie sont quant à eux considérés abolitionnistes en pratique. Israël est un pays abolitionniste pour les infractions de droit commun. En Oman, au Qatar et au Liban, les exécutions sont devenues relativement rares et exceptionnelles. Il n’y a pas une volonté forte et généralisée de recourir à la peine de mort dans la région. Malheureusement, d’autres États qui n’avaient pas connu d’exécutions depuis un moment – le Koweït, le Bahreïn et la Jordanie – les ont reprises ces dernières années. Il en est de même en Irak, où, après plusieurs années de pause dans les exécutions, le gouvernement y a eu massivement recours pour tenter de montrer, sans succès, qu’il protège la population contre l’insécurité. Ailleurs, en Égypte, on a vu apparaître sous le régime du président Abdel Fattah al Sissi des condamnations à mort en masse d’opposants politiques à l’issue de procès iniques devant des tribunaux civils et militaires. En Iran, les infractions politiques ou liées à la sécurité ne sont qu’un élément du tableau. Depuis 1988, l’Iran a mis à mort 10 000 personnes pour des infractions à la législation sur les stupéfiants et on estime que 5 000 personnes condamnées pour des affaires de drogue attendent dans les couloirs de la mort. Dernièrement, on avait pu espérer une réforme sérieuse des exécutions en matière de stupéfiants mais la nouvelle législation a déçu. Les responsables gouvernementaux ont néanmoins finalement admis que, dans ce pays qui conduit le plus d’exécutions dans la région, le recours à la peine de mort depuis des décennies n’a pas remédié aux fléaux de la drogue. Il s’agit d’un rappel salutaire à ceux et celles qui luttent pour l’abolition que, même si les progrès peuvent parfois apparaître incertains, ce n’est qu’en continuant à nous faire entendre que nous aiderons à créer les conditions qui permettront une approche différente. GROS PLAN – FAIRE CAMPAGNE CONTRE LA PEINE DE MORT EN IRAN Roya Boroumand est directrice générale du Centre Abdorrahman Boroumand pour les droits humains en Iran1, une organisation caritative non gouvernementale qui se consacre à la promotion des droits humains et de la démocratie en Iran. En Iran, des condamnations à mort continuent à être prononcées et appliquées à un taux alarmant. Selon vous, y a-t-il eu des progrès vers la réduction du recours à la peine de mort ou de son champ d’application en Iran ? Le nombre d’exécutions dans le pays demeure alarmant. Mais si on regarde le recours à la peine de mort et son champ d’application dans la décennie qui a suivi la révolution de 1979, on constate des progrès. Les efforts de la société civile iranienne, qui a émergé à la fin des années 1990 et au début des années 2000, et ceux de la communauté internationale ont permis des changements en droit et en pratique. Plusieurs facteurs ont eu un impact sur l’attitude des autorités iraniennes et des législateurs : la collecte de données sur les droits humains et le travail de plaidoyer pendant de longues années, les progrès en matière de communication, qui ont permis la circulation de l’information et la sensibilisation de l’opinion publique, la mise en place d’un mandat au titre des procédures spéciales des Nations unies en Iran, ainsi que les inquiétudes continues exprimées par la communauté internationale quant à l’augmentation du nombre d’exécutions, notamment dans le cadre de la politique iranienne de lutte contre les stupéfiants. Des progrès ont été accomplis concernant le recours à la peine de mort contre les prisonniers/ères politiques. Même si des dissident-e-s, notamment ceux et celles issu-e-s de minorités religieuses ou ethniques, sont toujours condamné-e-s à mort et exécuté-e-s, ce nombre est beaucoup plus faible que dans les années 1980. Aujourd’hui, les dirigeants iraniens s’inquiètent davantage du coût politique associé à l’exécution de prisonniers/ères politiques. Cela fait presque 10 ans qu’aucune exécution par lapidation n’a été signalée et le nombre d’exécutions enregistrées en 2016 et 2017 est moins élevé que les années précédentes. Par ailleurs, la législation iranienne draconienne contre les stupéfiants a été modifiée en 2017. Les législateurs ont subi des pressions pour réduire le champ d’application de la réforme mais la version finale permettra malgré tout de sauver des vies. Plus important encore, la réforme proposée a ouvert la voie à un débat national sur la politique iranienne de contrôle des stupéfiants. Le travail accompli par les familles des condamné-e-s à mort et les sacrifices des militant-e-s et des avocat-e-s qui, pour attirer l’attention sur des cas individuels et sur les atteintes systématiques à la légalité, risquent la prison, le retrait de leur licence professionnelle ou l’exil, ont été un facteur majeur de ce changement. Constatez-vous des changements dans l’attitude de la population iranienne vis-à-vis de la peine de mort depuis que le Centre Abdorrahman Boroumand pour les droits humains en Iran a commencé son travail de lutte contre cette peine ? Si oui, à quoi selon vous sont dus ces changements ? Lorsque nous avons démarré notre recherche en 2001, aucun groupe de défense des droits humains ne travaillait spécifiquement sur la peine de mort dans le pays. À l’époque, nous trouvions principalement nos informations sur les exécutions dans des journaux officiels ou semi-officiels et parfois dans des blogs locaux. Le militantisme naissait à peine et s’il est vrai que les exécutions extrajudiciaires de dissident-e-s dans les années 1990 ont donné lieu à des protestations, les militant-e-s essayaient d’attirer l’attention sur des cas spécifiques de condamné-e-s à mort et sur l’exécution des mineurs délinquants. Ils/elles combattaient aussi la lapidation, mais il n’existait pas d’efforts concertés pour rassembler des informations sur des cas individuels et lutter contre la peine de mort en tant que telle. Aujourd’hui, une grande part des informations sur la peine de mort que nous collectons provient de la société civile iranienne. C’est le signe d’un changement important des attitudes. Au milieu des années 2000, lorsque la société civile est devenue plus forte et s’est exprimée plus vigoureusement, les autorités s’en sont pris aux individus et aux groupes et ont réduit l’espace accordé au militantisme. Le nombre d’exécutions a également fortement augmenté, passant d’à peine plus de 100 cas signalés en 2004 à plus de 1 000 en 2015. Cette nouvelle vague d’exécutions ciblait en particulier les infractions à la législation contre les stupéfiants. Les militant-e-s poursuivi-e-s en justice ont fait l’expérience d’un système judiciaire inique, violent, qui ne répond pas aux normes minimales et qui conduit des êtres humains à la potence. Détenu-e-s avec des prisonniers/ères de droit commun, leur attention s’est portée sur le cas des condamné-e-s à mort. Le flux d’informations, la persistance des groupes de défense des droits humains qui ont aidé à collecter des éléments sur chaque cas, le courage des militant-e-s et des individus qui ont continué à faire passer des informations depuis l’Iran et la pression de la communauté internationale sont autant de facteurs qui ont poussé des responsables du pays (actuellement ou anciennement en poste) à, par exemple, questionner ouvertement l’efficacité des politiques iraniennes contre les stupéfiants. Leurs arguments revenaient toujours sur le fait que les addictions et le trafic de drogue augmentaient malgré le nombre élevé d’exécutions et que celles-ci posaient de nombreuses difficultés à l’Iran au niveau international. Aujourd’hui, la peine de mort est l’un des sujets les plus débattus sur les réseaux sociaux. La presse, le Parlement et la télévision discutent de l’exécution des mineurs délinquants, ainsi que de l’inefficacité des incarcérations et des exécutions en masse de ceux et celles qui enfreignent la législation sur les stupéfiants, qui sont souvent des toxicomanes. Même s’il est impossible de connaître l’ampleur du glissement vers l’abolition tant que des militant-e-s sont emprisonné-e-s en raison même de leur lutte contre la peine de mort, nous constatons que de plus en plus de personnes réfléchissent à cette question et en parlent ; certains groupes, officiels ou clandestins, travaillent dans la lumière ou secrètement pour sauver des vies. Les pays du monde qui ont encore recours à la peine de mort sont de plus en plus isolés et minoritaires. Selon vous et selon le Centre Abdorrahman Boroumand pour les droits humains en Iran, quelles sont les prochaines étapes pour aller vers l’abolition de la peine de mort en Iran ? Nous sommes loin du temps où une personne pouvait être arrêtée, jugée dans les jours qui suivaient sans avocat-e et sans droit d’appel, puis exécutée à l’aurore le lendemain de son procès. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour avoir un système judiciaire transparent et pour que les lois et pratiques iraniennes respectent les engagements internationaux du pays en matière de droits humains. Pour mettre en oeuvre des réformes et améliorer le système pénal judiciaire en Iran, où la peine de mort continue à être prononcée en violation des normes minimum d’équité, il est essentiel que toutes les personnes qui croient en la dignité et aux droits humains de tous les êtres travaillent de manière concertée et persistante. Les personnes accusées d’infractions de droit commun sont les plus vulnérables face aux violences policières et aux poursuites injustes car elles connaissent mal leurs droits et n’ont que peu de visibilité, voire aucune, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. Depuis 2000, mon organisation a enregistré plus de 8 200 exécutions et nous découvrons chaque année un nombre considérable d’exécutions dont personne n’a parlé. Pour aller vers l’abolition, les groupes de défense des droits humains doivent continuer à rassembler des informations sur les exécutions, exiger des changements et donner les outils nécessaires à la société civile iranienne pour réfléchir et agir. Nous devons sensibiliser l’élite éduquée iranienne et les militant-e-s politiques influent-e-s à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, qui trop souvent se concentrent sur les problèmes politiques du moment, aux dangers d’un système judiciaire opaque et violent, qui tue coupables et innocents. Nous devons attirer leur attention sur l’impact à long terme des exécutions sur les familles les plus vulnérables et les encourager à porter leur attention sur les lois et pratiques néfastes. Les dignitaires religieux qui savent que des violations sont commises au nom de l’islam doivent les dénoncer et exiger des réformes. La communauté internationale doit continuer à élever la voix pour que les autorités iraniennes rendent des comptes et doit exhorter ces dernières à la transparence et aux réformes. L’emprisonnement des militant-e-s et des avocat-e-s pour avoir fait leur travail ne doit pas devenir la norme. Il faut attirer l’attention sur le système judiciaire et les violations de la légalité, dans le cas des prisonniers/ères politiques mais aussi pour tous ceux et toutes celles qui ont affaire avec la justice, afin d’amener les autorités iraniennes à envisager des changements. Aucun pays n’a envie d’être perçu par le reste du monde comme affichant du mépris pour la vie de ses ressortissants. Les avancées vers l’abolition sont inévitables mais il n’y aura pas de miracle. Le changement est possible si les abolitionnistes unissent leurs efforts et persistent. ![]() ARABIE SAOUDITE : ARRÊTÉS ADOLESCENTS ET CONDAMNÉS À MORT En Arabie saoudite, quatre jeunes hommes, Ali al Nimr, Abdullah al Zaher, Dawoud al Marhoun et Abdulkareem Al Hawaj, attendent dans le couloir de la mort. Ils ont été condamnés pour des infractions liées à la sécurité après avoir participé à des manifestations antigouvernementales, alors qu’ils étaient âgés de moins de 18 ans. Au regard du droit international, ils n'auraient pas dû être condamnés à mort. Les quatre jeunes hommes, membres de la minorité chiite du pays, ont été condamnés à mort par le Tribunal pénal spécial, la juridiction antiterroriste tristement célèbre d’Arabie saoudite. L’Arabie saoudite fait partie des pays qui comptabilisent le plus d’exécutions dans le monde et a toujours recouru à la peine de mort comme arme politique pour réduire l’opposition au silence, en particulier les membres de la communauté chiite minoritaire. Dans ces quatre affaires, le Tribunal semble avoir fondé sa décision sur des « aveux » qui, selon les accusés, leur ont été arrachés sous la torture et d'autres mauvais traitements – allégations à propos desquelles le tribunal n'a ordonné aucune enquête. Les jeunes hommes ont épuisé toutes leurs voies de recours et risquent d'être exécutés dès que le roi aura ratifié leurs condamnations, ce qui peut arriver à tout moment. Amnistie internationale a mené campagne pour maintenir l’attention sur ces cas, afin de faire pression sur les autorités saoudiennes pour qu’elles ne procèdent pas aux exécutions. S’il est impossible de savoir quand celles-ci pourraient avoir lieu, il semble, par expérience, que les autorités saoudiennes sont extrêmement conscientes de l’attention internationale portée aux cas des condamné-e-s à mort.
1 Commentaire
Michel Cliche
1/16/2018 10:26:02
Respectons-nous les uns et les autres
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