![]() Lundi 10 octobre, Amnistie internationale se joint aux ONG, réseaux, militant·e·s et institutions abolitionnistes à travers le monde pour marquer la 20e Journée mondiale contre la peine de mort, qui est consacrée à la réflexion sur les liens entre l’application de la peine capitale et le recours à la torture et aux autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le droit international autorise toujours le recours à la peine de mort dans certaines circonstances limitées, mais uniquement pour les crimes les plus graves 1 ; Amnistie internationale s’oppose à la peine de mort en toutes circonstances, sans exception, quelles que soient la nature du crime commis, les caractéristiques de son auteur et la méthode d’exécution utilisée. La peine de mort est la négation absolue des droits humains. C’est le meurtre prémédité d’un être humain, commis de sang-froid par l’État au nom de la justice. Elle bafoue le droit à la vie, inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il s’agit du châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit. La torture et les autres formes de mauvais traitements sont strictement interdites par le droit international, notamment par la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture). Cette interdiction ne souffre aucune dérogation. Elle s’applique en toutes circonstances, y compris dans les situations de conflit armé ou d’autre danger public exceptionnel. Cette interdiction absolue est une règle du droit international coutumier, ce qui signifie que tous les États sont tenus de la respecter même s’ils ne sont pas parties aux traités qui en font mention. Beaucoup d’instruments relatifs aux droits humains interdisant la torture et les autres mauvais traitements exigent en outre des mesures visant à prévenir ce type de violations, à enquêter sur les cas signalés, à traduire en justice les responsables présumés et à accorder réparation aux victimes. La torture constitue un crime de droit international et la Convention contre la torture oblige les États membres à traduire en justice les personnes soupçonnées d’être responsables d’actes de torture. Les États sont également tenus de protéger les personnes non seulement de la torture et des autres mauvais traitements aux mains de fonctionnaires, mais aussi des actes similaires commis par des personnes privées (acteurs non étatiques). L’application persistante de la peine de mort dans le monde est préoccupante et souvent aggravée par le recours à la torture et à d’autres mauvais traitements, comme dans les cas où elle est prononcée à l’issue d’un procès inique dans lequel des éléments obtenus sous la torture ou au moyen d’autres mauvais traitements ont été retenus à titre de preuve. L’article 6-2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) énonce : « Dans les pays où la peine de mort n’a pas été abolie, une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves, conformément à la législation en vigueur au moment où le crime a été commis et qui ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du présent Pacte 2. » Autrement dit, toute application de la peine capitale à l’issue d’une procédure qui ne respecte pas les normes d’équité des procès édictées par l’article 14 du PIDCP constitue automatiquement une violation du droit à la vie 3. Par ailleurs, le Comité des droits de l’homme et plusieurs organes régionaux de défense des droits humains ont confirmé qu’une condamnation à mort prononcée à l’issue d’un procès inique viole aussi l’interdiction des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants 4 . L’utilisation d’« aveux » obtenus sous la torture ou au moyen d’autres mauvais traitements constitue une violation des normes internationales d’équité des procès. Ce type d’« aveux » ne peut être retenu comme preuve lors d’un procès, et le fait de s’appuyer sur de tels éléments bafoue le droit de ne pas être contraint de témoigner contre soi-même et la présomption d’innocence. Tous les pays dans lesquels la peine de mort reste en vigueur doivent prendre des mesures en vue d’abolir ce châtiment. Dans l’attente de l’abolition, ils doivent respecter le droit de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et veiller à ce que les éléments obtenus par de tels moyens ne soient jamais utilisés lors d’un procès. ACTION D’AMNISTIE INTERNATIONALE Dans le cadre de la Journée mondiale contre la peine de mort, Amnistie internationale et ses sympathisant·e·s agissent en faveur de Sulaimon Olufemi. SULAIMON OLUFEMI Sulaimon Olufemi, ressortissant nigérian, a été déclaré coupable et condamné à mort en mai 2005 pour la mort d’un policier saoudien, à l’issue d’un procès manifestement inique. Il languit en prison en Arabie saoudite depuis 2002. Il est arrivé dans le pays en septembre 2002. Quelques jours après, le 28 septembre 2002, il a suivi des Nigérians chez qui il logeait jusqu’à une station de lavage automobile du quartier de Bab Sharif, à Djedda, où de nombreux autres ressortissants de pays africains travaillaient. Ce jour-là, plusieurs hommes armés dont un policier ont fait irruption dans la station et une dispute a éclaté entre eux et les employés étrangers, au cours de laquelle le policier a été blessé. Il a succombé à ses blessures peu après. Le lendemain, le 29 septembre 2002, les autorités saoudiennes ont procédé à de multiples arrestations de personnes de nationalité étrangère. Parmi elles, Sulaimon Olufemi et 12 autres Nigérians ont été appréhendés alors qu’ils étaient rentrés chez eux. De nombreuses personnes arrêtées ce jour-là ont été jugées, condamnées à de courtes peines d’emprisonnement assorties d’une peine de flagellation, puis expulsées. Cependant, Sulaimon Olufemi et les 12 autres Nigérians ont été jugés ensemble pour la mort du policier. Sulaimon Olufemi a affirmé avoir été torturé lors de son interrogatoire dans le but de le forcer à signer des documents en arabe, langue qu’il ne savait pas lire et ne comprenait pas. Il aurait, sous la contrainte, apposé ses empreintes digitales, pouvant remplacer une signature, sur une déposition écrite en arabe. Il a appris par la suite au tribunal qu’il avait « signé » une déclaration indiquant qu’il avait frappé le policier à la tête avec une arme à feu. Lors de son procès, Sulaimon Olufemi n’a bénéficié d’aucune assistance juridique ni consulaire, il n’a pas eu accès à un interprète et ses « aveux » en arabe (langue qu’il ne comprend pas) obtenus sous la torture ont été retenus à titre de preuve. La peine de mort a été prononcée contre lui, tandis que les autres membres du groupe ont été condamnés à 15 ans d’emprisonnement et 1 000 coups de fouet. L’un de ces hommes est mort en prison et les 11 autres ont été libérés et renvoyés au Nigeria en 2017 à l’issue de leur peine de prison. Sulaimon Olufemi a toujours clamé son innocence et ses coaccusés ont déclaré qu’il n’avait pas participé à la bagarre ayant abouti à la mort du policier. En avril 2007, la Commission saoudienne des droits humains, l’institution nationale de protection des droits humains, a écrit à Amnistie internationale que la peine de mort prononcée contre Sulaimon Olufemi avait été confirmée par la Cour de cassation et le Conseil judiciaire suprême, ce qui signifie qu’il ne peut plus interjeter appel. Selon la charia (droit islamique, en vigueur en Arabie saoudite), lorsqu’un crime est puni en vertu du principe de qisas (« réparation »), comme dans l’affaire de Sulaimon Olufemi, les proches de la victime ont le droit de décider si l’auteur de l’homicide doit être exécuté ou gracié, auquel cas la condamnation à mort est annulée, parfois en échange d’une indemnisation appelée diya (« prix du sang »). La grâce accordée par les proches doit être certifiée par les tribunaux. Toutefois, cela ne signifie pas automatiquement que la personne déclarée coupable échappera à l’exécution étant donné que les juges peuvent invoquer les hadd (infractions et châtiments prévus par la loi divine) et estimer que l’homicide commis a troublé l’ordre public, outre le fait d’avoir porté atteinte à la victime et à sa famille. Les autorités saoudiennes ont maintenu Sulaimon Olufemi en prison jusqu’à ce que le dernier enfant du policier décédé atteigne son 18e anniversaire, au moment duquel la famille pourrait alors accepter ou refuser le paiement de la diya à la place de la peine de mort. Elle a exigé que Sulaimon Olufemi lui verse deux millions de riyals (environ 532 590 dollars américains) pour échapper à la peine capitale. S’il ne paye pas cette indemnisation, la famille peut demander aux autorités saoudiennes de l’exécuter. Sulaimon Olufemi et ses proches n’ont pas les moyens de payer une telle somme et le délai qui lui a été accordé pour la verser arrivera bientôt à échéance. Amnistie internationale met en avant l’iniquité flagrante du procès de Sulaimon Olufemi et les actes de torture et autres mauvais traitements qui lui ont été infligés. L’organisation appelle les autorités saoudiennes à ne pas l’exécuter mais à lui accorder une grâce. Elle engage en outre les autorités nigérianes à aider Sulaimon Olufemi à obtenir cette grâce. COMPLÉMENT D’INFORMATION Depuis 2003, la Coalition mondiale contre la peine de mort appelle chaque année les ONG, réseaux, militant·e·s et institutions abolitionnistes à se mobiliser le 10 octobre contre le recours à la peine de mort dans le monde. Le but de la Journée mondiale contre la peine de mort est de sensibiliser l’opinion publique au recours à la peine capitale, de renforcer le militantisme contre cette pratique et de mener des actions dans le but ultime de l’abolir partout dans le monde. Au fil du temps, la Journée mondiale contre la peine de mort a étendu son champ d’action jusqu’à devenir un point de convergence du militantisme mondial dans ce domaine. Amnistie internationale, en tant que membre fondateur de la Coalition mondiale contre la peine de mort, participe à la Journée mondiale contre la peine de mort en mobilisant chaque année ses membres du monde entier sur des actions menées le 10 octobre et autour de cette date. Amnistie internationale mène campagne en faveur de l’abolition mondiale de la peine de mort depuis 1977. 1 Les « crimes les plus graves » sont la seule catégorie d’infractions pour laquelle le droit international autorise le recours à la peine de mort. Selon les interprétations des organismes internationaux, ils se limitent aux seuls crimes impliquant un homicide volontaire. 2 Voir également l’Observation générale n° 36 du Comité des droits de l’homme, § 17, § 41 et § 42, et la résolution 1984/50 du Conseil économique et social, § 5. 3 Comité des droits de l’homme : Observation générale n° 32, § 59 ; Domukovsky et al c. Géorgie, doc. ONU CCPR/C/62/D/623,624,626,627/1995 (1998), § 18.10 ; Kelly c. Jamaïque, doc. ONU CCPR/C/47/D/253/1987 (1991), § 5.14 ; Earl Pratt et Ivan Morgan c. Jamaïque (1989), § 15. Cour interaméricaine : Dacosta Cadogan c. Barbade (2009), §§ 47, 85 ; avis consultatif OC-16/99 (1999), §§ 135-137 ; avis consultatif OC-3/83 (1983), § 55. Commission interaméricaine des droits de l’homme : Report on Terrorism and Human Rights (2002), § 94. Voir également : rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, doc. ONU A/62/207 (2007), § 62. 4 Comité des droits de l’homme : Larrañaga c. Philippines, doc. ONU CCPR/C/87/D/1421/2005 (2006), § 7.11 ; Mwamba c. Zambie, doc. ONU CCPR/C/98/D/1520/2006 (2010), § 6.8. CEDH : Öcalan c. Turquie (46221/99), Grande Chambre (2005) §§ 166-169 ; Bader et Kanbor c. Suède (13284/04) (2005), §§ 42-48. Voir également Javier Suarez Medina c. États-Unis, Commission interaméricaine des droits de l’homme (2005) § 92.
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